Halte-là au matelas?
À Nyabitekeri, dans le district de Nyamasheke dans le Sud-Ouest du Rwanda, le monde semble à l’envers. Alors que dans la tradition rwandaise, c’est l’homme qui doit se saigner aux quatre veines pour obtenir la main de la femme de son choix, ici, c’est l’inverse qui se produit depuis quelques années.
Les parents de la fille sont désormais obligés de vendre leur petit bétail et parfois même leur lopin de terre pour équiper la future mariée d’abondants, incluant, absolument, un matelas double neuf. Ils doivent dépenser jusqu’à 4 fois plus que la dot versée par leur futur gendre.
Poussant une brouette artisanale sur laquelle sont chargés deux jerrycans de kérosène, une caisse de bières et une autre de limonades, des petits sacs de farine de manioc ou de haricots, de petits bidons d’huile de cuisine et quelques kilos de sucre et de riz, Felicita rentre du marché.
Après avoir traversé la route avec son précieux chargement, la jeune fille s’accorde quelques minutes de repos. « Courage!« , lui lance Petero, un jeune voisin. « Ne te moque pas de moi, vieux célibataire ! Tu sais bien que ce n’est pas pour toi que je trime de la sorte« , lui répond-t-elle sur le même ton.
C’est que depuis quelques mois, Felicita travaille plus dur qu’avant. En fille digne, elle a commencé à préparer à temps son mariage. Le premier souci n’est pas de s’acheter des boucles d’oreilles, mais de réunir les cadeaux qu’elle emportera chez son amour. « J’ai déjà acheté quelques ustensiles de cuisine ainsi qu’une table basse en bois avec des décorations, mais il me reste encore le fameux matelas« , explique-t-elle.
Dans cette partie du Sud-Ouest du Rwanda, un matelas double de qualité moyenne coûte environ 40 000 francs rwandais, soit le salaire mensuel d’un instituteur du secteur public. Mais elle n’est pas salariée. « Depuis quelques mois, je vends ces différentes denrées au village, car je ne voudrais pas que mon mariage ruine mes parents. Sans tout cela, et surtout sans matelas, je risque d’être éconduite par ma belle-famille. », explique-t-elle. Sans tout cela, et surtout sans matelas, je risque d’être éconduite par ma belle-famille ».
Zahara, elle, quoique tout aussi jeune et célibataire, se moque de tout cela. « Suer sang et eau pour avoir un mari? Est-ce cela l’amour? Je suis prête à suer avec lui après notre mariage, mais pas avant« , jure-t-elle.
« Il ne faut surtout pas écouter celle-ci ! Elle a grandi en ville. Ici, il faut faire comme les autres. Il faut faire comme les voisins« , s’empresse de lancer Dancilla, une femme mariée.
Depuis qu’il a versé 150 000 francs de dot à la famille de sa future et construit une petite maison à côté de celle de ses parents, Yusufu, l’élu de Felicita, est presque fin prêt et n’attend que le jour J. « Les cadeaux avec lesquels Felicita ira commencer son foyer seront d’une valeur de loin supérieure à la dot payée par son fiancé« , explique Dancilla.
« Pourquoi alors ne pas rester célibataire ?« , suggère Zahara, avec un peu de hauteur.
« Ecoutez-moi cela !« , réagit, un peu en colère, un septuagénaire qui a suivi jusque-là sans mot dire. « Le mariage est une règle de Dieu. Mourir célibataire est une malédiction ! Il faut perpétuer le genre humain, se marier pour avoir des enfants.«
Zahara fait alors remarquer que « l’on peut avoir une progéniture sans être mariée« . Furieux, le vieil homme lève sa canne et répond: « Tu as certainement été mal élevée toi. Avoir des enfants sans être mariée! Cela s’appelle de la prostitution!«
Zahaza, quitte les lieux, les yeux baissés. « Et si nos filles allaient plutôt chez les bonnes sœurs?« , plaisante Dancilla, s’efforçant de ramener le ton badin. « Mais tu sais que certaines bonnes sœurs finissent aussi par en avoir marre du couvent! Tu n’en connais pas qui ont remises le voile pour finalement se marier?« , lui répond le septuagénaire.
« Les choses sont en train de changer. Il y a de moins en moins de prétendants. Mais nous devons marier nos filles. Quel qu’en soit le prix. Quel homme digne de ce nom serait fier de voir sa fille vieillir à côté de sa mère sous le même toit?« , conclut le septuagénaire.