Libération machiavélique?
Dans le cadre de la célébration du cinquantenaire de la Réunification du Cameroun, Paul Biya vient d’accorder la grâce présidentielle aux détenus ayant écopé des peines de 15 à 20 ans de prisons fermes et dont les affaires ont été vidées en appel.
Selon des analystes, les premiers bénéficiaires ne sont autres que l’ex-secrétaire général à la présidence Titus Edzoa et le franco-camerounais Thierry Michel Atangana. Paul Biya cède à la pression de l’Organisation des nations unies (ONU), se débarrassant ainsi d’un fardeau qui pesait sur lui depuis 17 ans.
Rappel des faits même si cette affaire passe en boucle depuis des semaines. En 1997, l’homme d’affaires Michel Atangana et l’ancien secrétaire général de la présidence, Titus Edzoa, sont accusés du détournement de 1,1 milliard CFA et de tentative de détournement de 59,4 milliards CFA.
Le dossier est enrôlé, et le tribunal de grande instance de la capitale camerounaise condamne les deux hommes à vingt ans de prison ferme. Les avocats des accusés font appel de cette décision judiciaire. Coup de tonnerre : alors que les prévenus espéraient une remise de peine à defaut d’une relaxe, le tribunal a eu la main encore plus lourde en les renvoyant derrière les barreaux pour cinq années supplémentaires.
En 2008, un juge d’instruction avait requis un non-lieu, mais le procureur est passé outre pour suspendre ce jugement. Dès lors, l’affaire prend une tournure éminemment politique. Le gouvernement camerounais est ainsi pressé de toutes parts pour la libération de ceux qu’il est convenu d’appeler des prisonniers politiques.
La France, par l’entremise de son ambassadeur au Cameroum, plaide pour que les conditions de détention du prisonnier français, Michel Atangana, soient améliorées. L’hôte de l’Elysée François Hollande, n’est pas en reste. Il évoque le sujet lors d’une visite de Paul Biya à Paris. L’ONU se saisit également du dossier, à travers le Haut-Commissariat des droits de l’homme, qui demande à l’Exécutif camerounais de procéder à sa libération immédiate et de lui verser une indemnisation. Même le souverain pontife, François, y est allé de son imploration. Mais le locataire du Palais d’Etoudi est resté insensible à tous ces appels à la clémence. En tout cas jusqu’au mardi 18 février dernier, date de la signature d’un décret qui pourrait élargir Michel Atangana, Titus Edzoa et bien d’autres détenus de droit commun. La situation était-elle devenue si intenable que le chef de l’Etat, Paul Biya, a fini par céder?
En effet, le mari de Chantal vient de signer un décret pour libérer des détenus. Même si la loi est, on le sait, de portée générale et impersonnelle, la signature de ce texte a été dictée par les pressions internationales, et quand bien même il ne serait pas nominatif, on se doute bien qu’il concerne de prime abord Michel Atangana, et peut-être même Titus Edzoa, les autres n’en étant que des bénéficiaires collatéraux.
Certes la grâce présidentielle fait partie des prérogatives régaliennes d’un président de la République. Au Cameroum, à entendre le ministre de la Communication, Issa Tchiroma Bakary, la signature de ce décret par Paul Biya est plutôt un geste de magnanimité, de tolérance et de pardon.
Au pays du « roi Biya », on veut faire croire que la justice est indépendante et la séparation des pouvoirs une réalité. Mais en vérité, le locataire du palais d’Etoudi est un monstre politique froid dont les tentacules s’étendent à toutes les institutions de la République, et il règle ses comptes avec tous ses adversaires en les jetant dans les geôles sous le prétexte de la lutte contre la corruption sur fond de manipulation du pouvoir judiciaire. Le cas du Franco-Camerounais, Michel Atangana, en est une illustration.
Préfigure-t-il une reconversion du «Machiavel noir» à l’occasion du cinquantenaire de l’unification du nord et du sud du pays? Donner à Paul le Bon Dieu sans confession est un pari que nombre de personnes se garderont de faire.