Quelles sommes à tirer du Sommet?
À première vue, hélas, pas grand-chose, étant donné le peu d’intérêt que l’Union européenne, plus obnubilée que jamais par ce qui se passe à ses frontières de l’Est, manifeste envers le Sud: ce Sud africain auquel elle doit pourtant l’essentiel de sa richesse présente puisque c’est, pour une large part, la colonisation pratiquée pendant plusieurs siècles qui a fait d’elle ce qu’elle est aujourd’hui; ce Sud africain dont les Européens, à la différence des Chinois, des Indiens, des Brésiliens et même des Américains, n’ont toujours pas pris la mesure et qu’ils sous-estiment au point de tenir pour quantité négligeable le milliard d’êtres humains que compte aujourd’hui le continent.
Repliée sur elle-même quoi qu’elle prétende, se barricadant de mille et une façons dans le seul but d’empêcher ou de freiner une immigration sauvage qui de toute façon la submergera tôt ou tard, rongée par l’écart grandissant que la crise économique et financière provoque entre ses pays membres, incapable de se muer en une fédération d’États suffisamment forte et soudée pour décider librement de son destin, dominée par une bureaucratie pesante dont le seul but parait être d’empêcher les nations qui la composent de réaliser le dessein ambitieux de ses pères fondateurs, l’Europe est une sorte de monstre moderne qui tient plus de la Tour de Babel que d’une communauté politique en marche vers l’unité. Et, cela va de soi, sa crédibilité internationale s’effrite au même rythme que s’accroit le nombre de ses États membres, vingt-huit au total dans le moment présent.
À première vue, donc, si l’on s’en tient à ce constat désabusé, mais froidement réaliste, le sommet Afrique-Europe qui se tiendra à Bruxelles les 2 et 3 avril prochains sera l’une de ces grands-messes aussi solennelles qu’ennuyeuses où les chefs d’État – soixante-dix au total, semble-t-il – affirment haut et fort leur volonté de coopérer pour le plus grand bien de leurs peuples respectifs, mais ne prennent aucune mesure qui vise à traduire ce noble engagement en termes concrets.
Il arrive, cependant, que l’histoire ne s’écrive pas exactement comme ceux qui la font avaient prévu d’en rédiger un chapitre, et cela pourrait bien arriver dans moins d’un mois à l’occasion de ce sommet de Bruxelles qui s’annonçait jusqu’à présent aussi bavard que terne. C’est en tout cas ce que laissent entrevoir les propos peu amènes entendus ici et là, en particulier dans les couloirs de l’Organisation des Nations unies, à New York, où le refus plus ou moins déguisé des « grands » de faire à l’Afrique, au sein des différentes institutions de sa gouvernance, une place correspondant à son poids humain commence à susciter des réactions agacées. Au cœur de la controverse qui s’amorce figure, en effet, l’Union européenne, d’abord en raison du poids que pèsent l’Angleterre, l’Allemagne et la France au sein des organismes onusiens, ensuite en raison du peu d’empressement que les Européens manifestent pour assister le Congo, le Tchad, le Gabon, le Cameroun, la République démocratique du Congo, la France dans la mise en place d’une force internationale suffisamment puissante et équipée pour ramener la paix en Centrafrique.
Les Africains apprécient peu le fait d’avoir été exploités sans vergogne pendant plusieurs siècles par les Européens et de n’être pas accompagnés aujourd’hui comme il le faudrait par ces mêmes Européens dans leur marche vers la sécurité et le développement durable. Sans doute ne le diront-ils pas, diplomatie oblige, avec autant de brutalité, mais c’est bien ce qui ressortira de leurs propos.
Et c’est pourquoi, au-delà des discours officiels, il conviendra d’observer avec attention ce qui se dira dans les couloirs du sommet Afrique-Europe au début du mois prochain.