Ci…Blé?
Le moins qu’on puisse dire, c’est que le «général de la rue» est resté droit dans ses bottes, pour ne pas dire dans ses convictions. «Je suis pro-Gbagbo et fier de l’être», a-t-il proclamé, au cours de sa première comparution devant le juge unique de la Chambre préliminaire de la Cour pénale internationale (CPI), jeudi 27 mars 2014.
Accusé de «crimes contre l’humanité» lors des violences postélectorales de décembre 2010 à avril 2011 en Côte d’Ivoire, Charles Blé Goudé a plaidé non coupable: «Si je suis jugé pour ce que j’ai fait et non pour ce que je suis, que je sois déclaré innocent».
Crâne rasé, costume gris foncé, chemise blanche, cravate bleue, l’ex-chef des «Patriotes ivoiriens» a dit tout son attachement à la manifestation de la vérité sur ce conflit. Une guerre civile qui a fait plus de 3000 victimes recensées aussi dans le camp de l’ancien président Laurent Gbagbo, détenu depuis fin 2011 pour «crimes contre l’humanité», que dans celui du chef de l’Etat actuel, Alassane Dramane Ouattara.
La prochaine comparution de Charles Blé est prévue le 18 août prochain pour la confirmation des charges.
Transféré au centre pénitentiaire de la Haye, siège de la CPI, dans la nuit de samedi à dimanche derniers, le quadragénaire ivoirien entame ainsi un marathon judiciaire de plusieurs années au terme duquel il se dit confiant de retourner libre dans son pays.
On n’en est pas encore là, loin s’en faut. Mais les conditions de son transfèrement présagent-elles une issue favorable à l’ex-ministre de la Jeunesse ? Prise au cours du conseil des ministres de la semaine dernière, la décision de la remise du prévenu à la juridiction internationale semble tenir plus à des raisons politiques, voire de ressentiments personnels, qu’à des motifs juridiques.
Selon plusieurs sources, dont «Jeune Afrique», face à de fortes pressions, le gouvernement ivoirien a soumis le transfèrement de Blé Goudé au vote des ministres, qui l’ont adopté à une forte majorité. Nous n’avons rien contre le principe de la volonté du plus grand nombre. Bien au contraire. Mais force est de reconnaître qu’il est des domaines ou des questions qui s’accommodent mal avec le suffrage. Est de celles-là, par exemple, le droit pénal, une chose d’une très grande complexité pour être l’affaire du plus grand nombre.
Si c’est vrai que les autorités ivoiriennes ont livré le «général de la rue» le glaive de la CPI sous la gorge, on ne peut s’empêcher de s’interroger sur les tenants et les aboutissants d’un tel acharnement.
On ne cessera de le déplorer, dans ce dossier ivoirien, du procureur argentin, Luis Moreno-Ocampo, à son successeur, la Gambienne Fatou Bensouda, la juridiction internationale est d’une ténacité sélective. Jusque-là elle ne drague que les eaux du Gbagboland alors que dans le marigot tout aussi sanguinolent de l’ADOkro, se repaissent, en toute impunité, de méchants crocodiles sur lesquels pèsent de nombreux soupçons de crimes contre l’humanité.
Dans son rapport publié le 5 octobre 2011, l’ONG Human Rights Watch a relevé de graves abominations commises par les deux camps et a mis en cause 13 dirigeants civils et militaires. Parmi lesquels des chefs de guerre pro-Ouattara aujourd’hui propulsés à de hautes fonctions. Protégés par ADO à l’image d’hommes de main bénéficiant de la bienveillance d’un chef de bande, ils ripaillent, plastronnent, fanfaronnent et baisouillent à Abidjan qu’ils considèrent comme un terrain conquis.
Tout se passe, jusqu’ici, comme si ces femmes, jeunes et vieux tués pour leur proximité avec le président ivoirien déchu ne sont que des victimes de seconde zone.
Qui sait si le procès à venir de Charles Blé Goudé ne sera pas une occasion de révélations susceptibles d’orienter enfin le harpon de la CPI vers d’autres eaux où sont tapis d’autres gros poissons.