Con…go to Paris?
En 2012, durant le sommet de la Francophonie à Kinshasa, les Congolais se souviennent encore de « l’humiliation publique » que le président français, François Hollande, avait infligée, devant les caméras du monde entier, à leur président: une main tendue froidement, et vite retirée. Après, il s’en était suivi un regard perdu du président Hollande dans le ciel congolais, afin de n’avoir pas à croiser celui de son hôte congolais.
En 2012, durant le sommet de la Francophonie à Kinshasa, les Congolais se souviennent encore de «l’humiliation publique» que le président français, François Hollande, avait infligée, devant les caméras du monde entier, à leur président: une main tendue froidement, et vite retirée. Après, il s’en était suivi un regard perdu du président Hollande dans le ciel congolais, afin de n’avoir pas à croiser celui de son hôte congolais.
Or, à l’Elysée, à quoi avons-nous assisté? Moins de deux ans après cette scène de ménage dans le couple franco-congolais, l’Elysée déroule le tapis rouge à Joseph Kabila. Oui, le président congolais tient sa revanche. Comment expliquer, voire cerner un tel retournement de situation? Et que répondre à ceux et celles qui ne manqueront pas de qualifier la visite de Kabila à Paris de «farce franco-africaine»? Comment la France de Hollande leur dira-t-elle qu’ils se trompent?
Kabila ne cache plus ses intentions de tripatouiller la Constitution de son pays
Avec cette visite, au-delà des aspects sécuritaires liés au rôle décisif des soldats congolais en Centrafrique, ce qui est et reste singulier, c’est l’incertitude totale sur le respect de la Constitution de son pays par le président congolais. Contrairement à Paris, Washington, par la voix de son secrétaire d’Etat, John Kerry, a fait du respect de la Constitution par Kabila, une question politico-diplomatique fondamentale, en 2016.
Qu’il le veuille ou non, qu’il y consente ou non, Hollande sait mieux que quiconque qu’en RD Congo, personne ne peut penser à cette visite de Kabila sans être troublé. Cette visite confuse ne fera qu’augmenter la colère et la stupeur des démocrates congolais authentiques, puisque Kabila ne cache plus, à travers les vociférations et déclarations médiatiques tapageuses de ses « griots » zélés, ses intentions de tripatouiller la Constitution de son pays. En RD Congo, Kabila entreprend tout pour museler les oppositions intérieures, et la société civile. Mais, en vérité, les Congolais ne sont pas, et sont loin d’être dupes. Car ils savent qu’il y a des contradictions réelles entre les deux pôles de la politique extérieure française sur le continent noir : conflits de valeurs et conflits d’intérêts. A l’heure actuelle, économiquement, la France se porte très mal, et les courbes du commerce extérieur du pays sont en très forte baisse. Tout le contraire de l’Allemagne, où les entreprises se montrent plus conquérantes et gagnantes dans la mondialisation.
Hollande, harcelé par le Medef, en est bien conscient. C’est pourquoi il compte bien miser sur la visite de Kabila, pour endosser ses nouveaux habits de « VRP » des grands groupes industriels et hôteliers français tels que Total, Bouygues, Bolloré, Vinci, Accor, Lafarge, etc. Comme on le voit, l’essence universaliste de la vocation française se heurte à la préservation des intérêts économiques et stratégiques de Paris en RD Congo. Jusqu’à ce jour, aucun président français n’a réussi à concilier sur le continent noir, l’universalité démocratique et la conquête, voire la consolidation des positions économiques de leur pays.
Avant d’être un scandale moral, la visite de Kabila devient très vite politique.
La France rend un très mauvais service à la cause de la démocratie sur le continent noir
En RD Congo, ou dans d’autres pays du continent, Paris peine, au nom de la défense sacro-sainte de ses intérêts, à bouleverser radicalement ses relations avec l’Afrique, notamment dans la sphère dite francophone. Pire, il vaut mieux voir cette tragique vérité en face : la France a sacrifié et sacrifie ici la démocratie, un fantôme qu’elle se montre incapable d’exorciser, depuis le fameux discours de la Baule. Et comment ne pas voir, à quel point, à l’instar de Kabila, nombre de dirigeants africains exploitent sans vergogne, la question des intérêts économiques français pour les besoins de leurs politiques intérieures ? Et Paris n’ignore pas que nombre d’entre eux refusent, et refuseront pour longtemps, au sein de leurs « Etats », l’alternance démocratique.
Or, la démocratie ne signifie pas seulement le suffrage universel, la pluralité des partis et des institutions, mais d’abord et avant tout, l’acceptation de l’alternance. Pour se maintenir encore au pouvoir, en dépit de la Constitution qui l’en empêche après 2016, Kabila met actuellement en œuvre toutes les ressources de la technique totalitaire. Certes, les ressources et matières premières congolaises sont indispensables au développement de l’économie française. Mais elles doivent profiter aux Congolais d’abord. Pourtant, de manière paradoxale, malgré ses immenses ressources, la RD Congo ressemble bel et bien à ce que l’éminent écrivain franco-tunisien, Albert Memmi, nomme « le royaume des pauvres ». Oui, les Congolais ont droit, eux aussi, comme les Français, au développement économique et social, à la dignité ; et à ce qu’on cesse de les appauvrir.
Évidemment, il n’existe pas, et n’existera jamais d’harmonie préétablie entre intérêts français et intérêts africains sur le continent. Mais avec cette visite de Kabila à l’Elysée, la France rend un très mauvais service à la cause de la démocratie sur le continent noir.
Paradoxalement, il existe ici une réelle force d’attraction de la démocratie française sur les peuples, qui est vue comme un modèle politique à suivre.
Et, souvent, les affaires françaises sont de telle nature qu’elles passionnent les Africains autant voire plus que les affaires de leurs propres pays.
Aujourd’hui, plus que jamais, la question de la bonne gouvernance, c’est-à-dire de l’alternance, est au cœur des préoccupations des Africains en général, et des Congolais en particulier ; mieux, elle constitue le pivot de leur vie politique nationale. Cela dit, la résignation passive, la fatalité et l’espoir d’un salut rédempteur extérieur ne sauveront pas les peuples du continent. Par conséquent, contre les tenants du « réalisme » et du « pragmatisme » froids, les peuples africains, à travers leurs luttes ininterrompues, finiront un jour par établir aux yeux du monde, qu’enfin la démocratie est devenue l’expression de leur unité et de leur foi collectives. Et ce processus historique paraît irréversible.