Nom d’un nom!
Depuis des années, l’étymologie des noms des pays africains constitue un terrain ouvert à des interprétations souvent erronées. Un dictionnaire paru récemment tente de rétablir les faits. Non sans difficultés.
Bénin, jadis Dahomey, Burkina Faso, Comores, Congo, Guinée, Maroc, Sénégal, Tanzanie… D’où viennent les noms des pays africains ? La question a trop souvent hanté Arol Kethchiemen qui a fini par essayer d’y répondre. Question de « rétablir les vérités historiques, tordre le cou aux mythes, aux interprétations construites de toutes pièces par des historiens peu scrupuleux« , écrit-il.
Dans son « Dictionnaire de l’origine des noms et surnoms des pays africains » (éd. Favre, 315 pages) paru le 15 septembre, ce jeune auteur d’origine camerounaise, passionné d’histoire, confronte plusieurs recherches antérieures sur la toponymie des pays africains. On y apprend entre temps que les dénominations actuelles ou anciennes des États du continent trouvent souvent leur origine dans les anecdotes, les mythes et légendes locales, mais aussi dans la typologie des habitants, la topographie, les décisions politiques et l’héritage colonial. Florilège en 10 points :
Ne dites pas « République du Burkina Faso »
Jadis dénommé la Haute-Volta, le pays de Thomas Sankara a été débaptisé Burkina Faso le 4 août 1984, une année jour pour jour après la « Révolution ». Une volonté de rupture avec le passé colonial, en allant puiser la nouvelle appellation dans le patrimoine linguistique national. « Burkina » vient ainsi du moré et signifie « honneur, intégrité« , tandis que « Faso » en diola veut dire « territoire, terre de nos ancêtres, patrie« . Conséquence : ce serait donc une faute, une tautologie, de l’avis de « certains linguistes puristes », de dire « république du Burkina Faso », le terme « Faso » signifiant déjà « république », « pays » ou « patrie ». Et « président du Faso » serait largement suffisant pour désigner le chef de l’État burkinabè.
Dahomey « dans le ventre de Dan »
Mais avant le Bénin, il y avait le Dahomey. Jusqu’en novembre 1975 lorsque le président Mathieu Kérékou décide, au nom de la « révolutionnalisation », de changer le nom du pays. C’est à cette date en effet que ce dernier prend son actuelle dénomination qui rappelle le passé élogieux d’un ancien royaume qui s’étendait autrefois jusqu’au Nigeria voisin. Qu’à cela ne tienne, la légende autour de l’origine de Dahomey – du royaume de Dauma – demeure intacte. On raconte que le roi Dan fut battu et tué par son pire ennemi. Victorieux, ce dernier « éleva sur le tombeau de Dan son palais royal qu’il appela ‘dan-ho-mè‘, ce qui signifie littéralement en fon ‘dans le ventre de Dan‘ ».
« Comme or » ou « comme mort » ?
Une anecdote qui rappelle celle collée à l’étymologie du mot « Comores ». Là aussi, des historiens et chercheurs font preuve d’une imagination très fertile. Certains soutiennent, à tort, qu’un membre de l’équipage qui aurait découvert l’archipel de l’océan indien, s’était exclamé en le voyant au loin : « Comme or !« . Une autre « version aussi farfelue qu’incongrue » attribue l’origine du mot « Comores » à la « tranquillité et la stabilité des lieux » : « Comme mort !« . Mais là où le bât blesse, les premiers explorateurs arrivés sur ces îles ne parlaient pas français.
Le Cameroun et les « crevettes »
Au Cameroun, les dirigeants ont fait, eux, le choix de conserver l’héritage portugais. Fascinés par l’abondance de crevettes dans le fleuve Wouri, les explorateurs des XVe et XVIe siècles avaient baptisé ce cours d’eau « Rio dos camarões », traduisez la rivière des crevettes. « Ce qui, par déformation, a donné naissance au nom ‘Cameroun‘ », rappelle Arol Kethchiemen.
Le Mali n’est pas vraiment un hippopotame
En revanche, contrairement à une « version largement vulgarisée », l’hypothèse selon laquelle le mot « Mali » signifie « hippopotame » en malinké ou en bambara, n’est pas tout à fait exacte. D’autant que les populations autochtones rejettent cette « étymologie totémique », affirmant que « le Mali est simplement le nom de leur patrie et qu’ils n’en connaissent pas la signification« .
Le Maroc, c’est bien Marrakech
Au Maghreb, les choses paraissent beaucoup plus simples. À l’instar de l’Algérie avec Alger ou de la Tunisie avec Tunis, le Maroc dérive du nom d’une de ses villes : Marrakech ou « Marrakush » en espagnol. Ce dernier trouverait son origine des mots berbères « (ta)murt », la terre et « akush », Dieu. Traduction littérale : « la terre de Dieu, la Terre Sainte… »
Mais le Sénégal, est-ce vraiment « notre pirogue » ?
Au Sénégal par ailleurs, tout est parti de David Boilat en 1850. Cet abbé franco-sénégalais est le premier à faire dériver le mot « Sénégal » de l’expression wolof « sunugaal » qui signifie « notre pirogue« . Dans l’imaginaire collectif sénégalais, on en tire rapidement le dicton « Tous dans le même bateau », symbole de l’union nationale. Voilà pourquoi cette hypothèse – parmi tant d’autres – de l’origine du nom du pays de la teranga a été si largement popularisée. Grâce, notamment, aux politiques, Léopold Sédar Senghor en tête dès les années 1960. Et ce, même si l’anecdote du théologien pour justifier la consécration de « sunugaal » (Sénégal) comme nom du pays n’a guère été convaincante.
Il s’agit en effet de cet échange – comme on en trouve dans plusieurs récits des origines des noms des lieux sur le continent – entre Denis Fernandez, « premier Européen » à avoir débarqué dans le coin, et un piroguier trouvé sur l’embouchure du fleuve Sénégal. Le navigateur portugais demande alors à ce dernier le nom du cours d’eau. N’ayant pas compris la question et croyant que le « Blanc » voulait savoir à qui appartenait le pirogue, il répond, en wolof bien entendu : « Sa ma gaal » (mon bateau, en français). Mais son interlocuteur croit entendre « Sanaga » et retranscrit « Sénégal » sur son carnet des notes. Plus tard, cette version a été contestée par plusieurs chercheurs, lesquels ont notamment démontré que la discussion entre le pêcheur sénégalais et le navigateur portugais n’a jamais eu lieu, puisque Denis Fernandez n’avait jamais emprunté l’embouchure du fleuve. Hélas !
La République centrafricaine, un rêve avorté
Dans le rêve de Barthélemy Boganda, premier président centrafricain, son territoire devait comprendre toute l’Afrique équatoriale française (Gabon, Moyen-Congo ou actuelle Congo-Brazzaville, Tchad et Oubangui-Chari ou actuel territoire centrafricain). C’est pourquoi il le nomma la « République centrafricaine« . Mais les États-Unis de l’Afrique latine espérés ne verront jamais le jour…
Kongo, un royaume pour deux Congo
Au sud de l’Oubangui-Chari, un royaume prospère, Kongo, est à l’origine du nom « Congo » attribué à deux pays, le Congo-Brazzaville et son voisin d’en face, la République démocratique du Congo. Toutefois, l’étymologie de Kongo reste incertaine, laissant libre cours à des interprétations diverses. La plus répandue voudrait que le mot « Kongo » signifie « allié de la panthère », expression tirée de « Ko-ngo ». Et il en découle le mythe du chef léopard, le protecteur du royaume. En cas de graves dangers, les populations accouraient vers lui pour trouver refuge. « Tuele ku Ngo« , disaient-ils (traduisez « Nous allons chez le léopard« , en langue locale). C’est donc la phrase raccourcie « ku Ngo » qui aurait donné naissance à Kongo, rapporte Arol Kethchiemen.
Tanzanie = Tanganyika + Zanzibar
Rien à voir avec la Tanzanie dont la naissance ne fait l’ombre d’aucun doute. C’est la fusion entre « Tan » de Tanganyika, pays indépendant en 1961, et « Zan » de Zanzibar, qui a accédé à la souveraineté nationale et internationale deux ans plus tard. Une décision politique qui a le mérite d’éviter au nouvel État toute interprétation farfelue de l’origine de son appellation.