Pour crier que tripatouiller la Constitution est « in…femme »!
Spatules, balais et quelques fois des pilons en main, les femmes de l’opposition politique burkinabè et des organisations de la société civile sont sorties, lundi 27 octobre dans l’après-midi dire non au pouvoir personnel, au pouvoir à vie, exprimer leur attachement aux principes démocratiques et au respect de la Constitution.
Vu leur détermination bien qu’elles n’aient pas eu l’autorisation de la mairie de Ouagadougou, cette manif était une mise en jambe pour la marche- meeting d’aujourd’hui. 15 heures, à la Maison du Peuple. Les femmes, à pied, à vélo, à moto ou en voiture sont arrivées par centaines au lieu du rassemblement, avec leurs armes, qu’elles arboraient fièrement : une spatule et le foulard rouge noir (luili-peende) sur la tête comme un uniforme.
Elles ont exigé le départ du président du Faso, Blaise Compaoré, criant au scandale face au «tripatouillage de la Constitution», et ce ne sont pas les mots pour le dire qui ont manqué : «Pian ce président-là, il faut qu’il parte et il partira».
«Le match est terminé, le match de Blaise est fini. Les femmes du Burkina sont sorties pour leurs enfants et pour leurs maris, puisse Dieu vider le palais de Kosyam de ses occupants !», lance Julienne Congo, une des manifestantes, et la foule de répondre d’une seule voix: amen. Avant de scander en chœur : libérez Kosyam !
Quand le Balai citoyen défriche le chantier
Le ton de la marche est déjà donné, les coups de sifflet se font entendre çà et là. Le Balai citoyen, qui effectuait une caravane à travers la ville, marque un arrêt à la Maison du peuple pour soutenir les femmes. «Il faut que Blaise sache que c’est le peuple qui donne le pouvoir, et si le peuple est fatigué, il reprend son pouvoir», a lancé Karim Sama, alias Sams’k le Jah.
Pendant ce temps, on entendait murmurer dans la foule: «Il parait qu’on n’a pas l’autorisation de marcher». Et une autre de demander pourquoi? «Ah le maire n’a pas donné son accord hein», rétorque une autre, surprise. Et une troisième d’ajouter: «on s’en fout, nous on va marcher pian !»
Et ces mots de Sams’k le Jah viennent comme une réponse à cette préoccupation : «Nous avons entendu que la mairie n’a pas donné son accord à cette manif, mais il faut qu’elle sache que depuis le 21 octobre (NDLR : date du conseil extraordinaire des ministres au cours duquel le chef de l’Etat a annoncé la modification de la Constitution) les normes ont changé, on n’a plus besoin d’autorisation de quelqu’un pour quoi que ce soit».
Le visa obtenu
A 16h, la présidente du PDC, Saran Sérémé, fait son entrée, avec une spatule géante, certainement la plus grande de toutes. Les femmes sont plus que jamais déterminées à se diriger vers le rond-point des Nations unies, mais il y a un obstacle : les forces de l’ordre ont érigé un barrage à 400 mètres dudit rond-point. Après quelques minutes d’échanges, les femmes ont pu convaincre les CRS du caractère pacifique de leur marche. Après quoi, le barrage a été levé, et les femmes ont pu marcher jusqu’à destination en poussant des cris de victoire.
Mais pourquoi ce fléchissement des CRS face à l’autre moitié du ciel ? demandons-nous à l’un d’entre eux : «Nous avons reçu l’ordre de les laisser passer», a-t-il répondu.
Une fois au rond-point des Nations unies, les manifestantes se sont assises à même le bitume pour crier leur ras-le-bol du système en place. Quant à Saran Sérémé, qui était à la tête des manifestantes, elle s’est adressée à ses sœurs en ces termes : «Vaillantes et dignes combattantes de la liberté, la paix sociale est menacée ; concitoyennes et concitoyens, les temps sont troubles pour notre patrie, mais si les luttes de nos aînés ont édifié nos droits, nos résignations les détruiront. Il est cependant plus que temps que nous nous levions pour prendre nos responsabilités et écrire notre histoire, l’histoire de nos enfants, histoire de notre patrie. Il est temps de transcender ces limites et ces barrières… », a -t-elle déclaré avant de mettre en garde les députés et les forces de l’ordre : « Nous ne voulons pas entendre qu’il y a eu des balles perdues ». Entre-temps les femmes ont eu le soutien du chef de file de l’opposition et d’Ablassé Ouédraogo, venus les soutenir et les encourager.
Stations et magasins fermés
La tension et la psychose sont ambiantes chez les populations en cette période d’effervescence politique. A l’occasion de la marche des femmes et probablement en prélude à la marche meeting de protestation d’aujourd’hui, hier lorsque les stations-service étaient ouvertes on y voyait de longues files d’attente pour s’approvisionner en carburant. La plupart des stations et magasins situés à proximité de la maison du peuple sont restés fermés le temps de la marche, de peur d’éventuels débordements. Les pompistes ont catégoriquement refusé de servir les clients venus s’approvisionner en essence avec des bidons, ce qui a suscité par moments quelques prises de becs.
La symbolique de la spatule
Pour certaines manifestantes, la spatule est l’ustensile de cuisine le plus important de la femme. Mieux, elle comporte une charge symbolique dans nos sociétés traditionnelles. Lorsqu’elle est utilisée pour frapper un homme, c’est un sacrilège dont les conséquences seraient à la fois désastreuses et irréversibles. Porter un coup à un homme avec une spatule porterait automatiquement atteinte à sa puissance. Alors qu’un homme, tient à sa virilité comme à la prunelle de ses yeux. C’est pourquoi face aux velléités monarchiques du président qui n’en ferait qu’à sa tête, elles sont sorties avec des spatules en guise d’avertissement pour le ramener à la raison.
Si le président ne nous écoute pas, on marchera nues
Pour les manifestantes, ce que femme veut Dieu veut. Devant l’entêtement du président du Faso, elles n’auront pas d’autres choix que d’utiliser tous les moyens pour se faire entendre. Pour cela, elles ne reculeront devant rien, c’est pourquoi elles marcheront à poil s’il le faut pour sauvegarder la démocratie et dire non au pouvoir à vie. Le divorce selon les femmes est bel et bien consommé.
Cécile Ouédraogo, manifestante : « Gare aux députés dévots »
Nous ne sommes plus tenues de respecter les lois de la République, puisque le premier magistrat du pays lui-même, avec ce projet de révision introduit devant le Parlement, est devenu un «hors-la-loi». Pourtant l’exemple devrait venir d’en haut mais visiblement, ce n’est pas le cas. Toutefois nous estimons que jusqu’là rien n’est encore perdu, pour peu que les députés, qui sont les représentants du peuple à l’hémicycle, fassent preuve d’un sens élevé de la responsabilité et de l’honneur en barrant la route au président du Faso en votant simplement utile.
Au demeurant, les femmes prendront leurs responsabilités vis-à-vis des parlementaires qui viendraient à protéger le 30 octobre prochain les intérêts d’un individu et de son clan au détriment de ceux du peuple.