Non à la… dérision post-guérison!
Au Liberia et en Sierra Leone, les survivants d’Ebola font face à des réactions variées lorsqu’ils rentrent chez eux après avoir guéri de la maladie. Si certains sont accueillis chaleureusement, la plupart sont confrontés à la discrimination et à la stigmatisation, et d’autres encore sont tout simplement rejetés par leur communauté. «J’étais très heureux de retourner dans ma communauté », a dit Ibrahim Thomas, qui vit à Freetown. «Je n’ai rencontré aucun problème avec la communauté ou qui que ce soit. Les fidèles de ma mosquée ont prié pour moi [pendant ma maladie] ; ils étaient donc très heureux de me voir vivant et en santé». M. Thomas, qui a perdu sa femme et deux de ses enfants à cause d’Ebola, a ajouté que de nombreux voisins s’étaient montrés empathiques et lui avaient offert leur aide. Tous les survivants n’ont cependant pas cette chance.
Rejet
« J’étais anéanti quand je suis retourné dans ma communauté », a dit Alhaji Bangura, un Sierra Léonais de 27 ans qui a perdu ses deux parents, sa femme et deux enfants à cause d’Ebola. « J’ai eu beaucoup de chance de survivre, mais certaines personnes ont toujours peur de moi ; elles ont peur de s’approcher de moi. J’avais beaucoup d’amis avant, mais la plupart d’entre eux ont pris leurs distances. »
M. Bangura a ajouté que la plupart des gens acceptaient de lui parler à l’extérieur de leur maison seulement et refusaient souvent de lui donner à manger ou à boire. « Un jour, je suis allé au puits pour y chercher de l’eau. Quand je me suis approché, presque tous les enfants et les adultes ont commencé à s’éloigner », a-t-il dit. « Je n’avais jamais rien vécu de semblable. »
M. Bangura n’est pas le seul dans cette situation. Selon une étude réalisée par l’UNICEF, 96% des survivants d’Ebola en Sierra Leone ont vécu une forme ou une autre de discrimination. Plus des 3/4 des répondants ont reconnu qu’ils n’accueilleraient pas favorablement le retour au sein de leur communauté d’une personne ayant été infectée par le virus, même si cette personne était rétablie.
« Il est évident qu’il y a de la stigmatisation, même si ce n’est pas systématique. Après tout, Ebola est nouveau dans cette région et il s’agit d’une maladie mortelle pour laquelle il n’y a pas de remède : les gens ont donc peur d’être en contact avec des gens qui ont eu Ebola », a dit Rukshan Ratnam, un porte-parole de l’UNICEF au Liberia. « Ce n’est pas qu’ils cherchent à les stigmatiser de manière intentionnelle, c’est plutôt qu’ils craignent pour leur propre santé et leur propre sécurité. »
Abandon
Le mari de Naomi Teah, qui a été traitée à l’unité ELWA 3, à Monrovia, l’a abandonnée lorsqu’elle a obtenu un résultat positif au test de dépistage d’Ebola.
« Mon mari ne me parle même plus », a-t-elle dit. « Je pensais qu’il serait content, mais, depuis que je suis rentrée, il n’est plus le même avec moi. Il ne veut même pas savoir comment les enfants et moi nous débrouillons pour manger et je ne suis pas encore assez forte pour aller chercher de la nourriture. Les gens disent que je n’ai plus Ebola, mais mon mari n’ose pas m’approcher. »
Mme Teah a dit qu’elle dépendait de ce que les voisins voulaient bien lui donner pour se nourrir et nourrir ses fils.
Pas d’emploi pour les survivants d’Ebola
Avant de contracter Ebola, Abraham Turay travaillait comme chauffeur de taxi dans le district sierraléonais de Port Loko. Il dit que les gens de sa communauté ont peur de monter à bord de son taxi depuis qu’ils savent qu’il a survécu à Ebola.
« Je dois désormais aller plus loin pour trouver des clients », a-t-il dit. « Et lorsque je reviens chez moi, je rentre tout de suite à l’intérieur parce que la plupart des gens qui venaient s’asseoir et parler avec moi ne le font plus. Je suis plutôt seul maintenant. » En dépit de l’accueil chaleureux qu’il a reçu, M. Thomas a perdu son travail d’opérateur de machinerie pour une compagnie minière après son rétablissement.
Un nouveau départ
Pauline Joseph, une jeune femme de 18 ans qui a été traitée à l’unité ELWA 2, à Monrovia, a dit qu’elle avait dû quitter la ville pour échapper à la stigmatisation.
« Quand je suis rentrée chez moi, tout le monde a commencé à me regarder différemment », a-t-elle dit. « Ils faisaient comme s’ils étaient contents que je sois de retour, mais ils n’agissent plus de la même manière avec moi ; ils ne veulent plus qu’on mange ou qu’on fasse des choses ensemble. »
Pauline a dit qu’elle avait décidé d’aller vivre chez sa tante à Kakata, une ville située à environ 70 kilomètres de Monrovia, jusqu’à ce que les gens cessent de craindre Ebola. « Vous ne pouvez pas rester quelque part et voir tous vos meilleurs amis agir comme s’ils étaient trop occupés pour passer du temps avec vous », a-t-elle dit. « Ça me rend triste. »
Favoriser l’acceptation
Des représentants du ministère de la Santé et du ministère de la Protection sociale de Sierra Leone ont annoncé qu’ils avaient commencé à raccompagner des survivants chez eux afin de faciliter leur réintégration au sein des communautés. Des responsables expliquent aux familles et aux voisins que les survivants ne peuvent plus transmettre la maladie par un contact normal et quotidien.
Des bénévoles, et parfois même certains leaders religieux, vont de porte en porte avant que les survivants ne rentrent chez eux pour véhiculer des messages semblables aux membres des communautés. Ces messages sont également diffusés à la radio et à la télévision à l’échelle nationale.
« Nous cherchons à faire comprendre que ces personnes ne sont plus contagieuses et ne représentent plus une menace pour la santé de leurs concitoyens », a dit Sidie Tunis, un porte-parole du ministère de la Santé. « Ils devraient être étreints et accueillis à bras et à cœurs ouverts par leurs familles et leurs communautés. »
Au Liberia, l’Association des survivants d’Ebola lance également des appels pour faire cesser la discrimination dont sont victimes certains survivants. « [Les gens] doivent se montrer ouverts envers les survivants », a dit Korlia Bonarwolo, le président de l’association, qui a lui-même survécu à Ebola. « Il faut leur manifester de l’amour et de l’attention, car ils sont déjà traumatisés. »
Au Liberia, au moins 400 travailleurs sociaux et en santé mentale sont actuellement formés par l’UNICEF pour offrir un soutien psychosocial aux survivants et faire des visites de suivi périodiques une fois que les survivants auront quitté l’hôpital.
MSF offre également une aide psychologique aux survivants avant de leur donner leur congé afin de les aider à prendre conscience que la vie en tant que survivant ne sera pas nécessairement facile et de leur montrer comment faire face à la stigmatisation ou à la discrimination dont ils pourraient être victimes.
MSF remet un certificat médical à tous les survivants pour qu’ils puissent prouver qu’ils sont guéris.
Un processus lent
« Il est souvent très difficile de réintégrer la communauté », a dit Suafiatu Tunis, qui coordonne les actions des groupes d’intervention communautaire en Sierra Leone. Ces groupes offrent notamment une aide psychosociale aux survivants et à leurs familles. « Même lorsqu’ils sont réintégrés par un chef ou par un aîné de la communauté, par exemple, et que cette personne demande aux membres de la communauté de les étreindre, cela dure quelques jours seulement. [Les membres de la communauté] recommencent ensuite à se tenir loin de ces personnes. »
Dans d’autres cas, il faut seulement attendre que le temps fasse son œuvre.
« Les personnes qui avaient peur de s’approcher de moi au départ sont de plus en plus à l’aise en ma présence », a dit Hawa Turay, une jeune fille de 14 ans qui a contracté Ebola après avoir été en contact avec un cousin atteint qui lui a rendu visite en septembre. « Elles savent maintenant que le virus n’est plus dans mon corps. »
Hawa a dit qu’elle pouvait se déplacer librement au sein de sa communauté, jouer avec des amis et accomplir ses tâches. Elle a ajouté que les gens se montraient même plus gentils qu’avant avec elle. « Mes parents m’ont été d’un très grand soutien pendant le traitement. Ils me voient comme une héroïne parce que j’ai survécu à cette maladie mortelle », a-t-elle dit. « Ils m’aident beaucoup depuis que je suis rentrée. De nombreuses autres personnes sont contentes de me voir en vie et de retour à la maison. »
Selon Mme Tunis, il est important que les gens se rappellent que le fait de contracter Ebola n’est pas un crime.
« C’est une maladie qui peut toucher n’importe qui », a-t-elle dit. « Le fait de voir une personne qui a survécu à Ebola devrait être synonyme d’espoir et encourager les gens à cesser d’avoir peur de la maladie. Les survivants devraient ainsi pouvoir avoir l’esprit libre et ne pas craindre de réintégrer la société à laquelle ils appartenaient avant de contracter le virus. »