« B…lèse-majesté »?
Dans « Jeune Afrique », l’ancien président burkinabè, Blaise Compaoré, accuse l’opposition et l’armée d’avoir comploté pour le renverser.
Dans « Jeune Afrique », l’ancien président burkinabè, Blaise Compaoré, accuse l’opposition et l’armée d’avoir comploté pour le renverser, niant également que son projet de révision constitutionnelle destiné à lui permettre de se représenter en 2015, n’est pas à l’origine de sa chute. Cette sortie, qui intervient quelques jours seulement après la fin de son régime, pourrait appeler des observations et des interrogations.
La première observation est qu’elle est prématurée. En effet, Blaise Compaoré aurait dû d’abord consacrer ses premiers jours d’exil à un travail d’introspection. Un tel moment lui aurait permis de comprendre que ce qui lui arrive devrait lui arriver. Les signes précurseurs de sa chute dans le pays pouvaient s’observer aisément, au fur et à mesure qu’il s’obstinait à franchir la ligne rouge. Sa sortie est d’autant plus prématurée qu’elle intervient à un moment où le Burkina est en train de panser ses plaies et de s’échiner à trouver une issue constitutionnelle à la crise politique que Blaise Compaoré a travaillé méthodiquement à créer, à force de surdité et d’autisme politiques. De ce point de vue, il devrait s’abstenir de toute déclaration publique, pendant qu’il n’a pas encore fini de défaire ses valises pour jouir de l’hospitalité à lui accordée par Alassane Ouattara. A ce propos, Blaise Compaoré aurait dû s’inspirer de l’exemple de l’ancien président malien Amadou Toumani Touré. L’on se souvient que ce dernier, après avoir été chassé de son pays comme un malpropre par la junte de Kati, avait adopté une attitude de dignité et de réserve au pays de la Teranga, en se gardant de donner sa lecture des événements qui l’avaient contraint à l’exil.
La deuxième observation qui découle d’ailleurs de la première est que Blaise Compaoré court le risque de mettre dans une situation inconfortable, celui qui vient de lui accorder gîte et couvert. En effet, après cette sortie, les nouvelles autorités du Burkina pourraient protester contre la Côte d’Ivoire, de n’avoir pas imposé à Blaise Compaoré l’obligation de réserve comme cela s’observe dans les usages diplomatiques. Au plan domestique, il ne faut pas oublier le fait que le Front populaire ivoirien (FPI) dont tout le monde sait qu’il n’est pas en odeur de sainteté avec Blaise Compaoré, peut se saisir de cette sortie malheureuse, pour exiger le départ du fils inconsolable de Ziniaré de la Côte d’Ivoire. Blaise Compaoré peut avoir du mal à s’accommoder d’une autre vie
La troisième observation est que Blaise Compaoré, dans sa sortie, donne l’impression d’être dans une logique d’accusateur. Le moins que l’on puisse dire est que cette posture pourrait irriter le peuple burkinabè. En effet, s’il y a une personne à qui l’on pourrait imputer la responsabilité majeure des moments difficiles que traverse le pays, c’est bel et bien Blaise Compaoré. Mais là, ce dernier est en train d’inverser les rôles en refusant de s’assumer. De ce point de vue, les Burkinabè étaient en droit d’attendre de lui qu’il fît preuve de contrition et de pardon avant de mettre à l’index l’armée et l’opposition. Blaise Compaoré n’a pas eu à tenir un seul mot de compassion encore moins de pardon pour les nombreux morts ou blessés qu’il a laissés derrière lui.
Après les observations, venons-en aux interrogations que pourrait susciter la sortie de Blaise Compaoré. L’ancien chef de l’Etat a laissé entendre qu’il avait été trahi par l’armée. A quoi s’attendait-il? En partant du constat qu’il tenait plus à son pouvoir qu’au Burkina, l’on peut dire qu’il aurait préféré que l’armée nationale se comportât comme la milice de Nicolas Ceaucescu, « la Securitate », qui n’avait eu aucun scrupule à tirer sur le peuple roumain en 1989, pour préserver les intérêts du dictateur et de son clan. Si l’armée avait suivi Blaise Compaoré dans sa volonté de confisquer le pouvoir, notre pauvre pays aurait vécu une tragédie dont il aurait du mal à se relever.
La deuxième question que l’on peut poser à Blaise Compaoré est la suivante. Croit-il réellement que c’est l’armée et l’opposition seulement qui sont à la base de sa chute? Certes, l’on ne doit pas sous-estimer le rôle important de ces deux acteurs, mais l’on ne doit pas craindre de dire que l’acteur majeur de la chute de Blaise Compaoré est le peuple burkinabè lui-même. Celui-ci a consenti d’énormes sacrifices pour imposer l’alternance démocratique dans le pays. S’il n’en tenait qu’à l’opposition et à l’armée, peut-être qu’elles se seraient contentées du renoncement de Blaise Compaoré à son projet de révision de l’article 37. C’est ce qu’il a d’ailleurs fait aux derniers instants de son régime. Mais cela n’a pas pour autant empêché le peuple de réclamer purement et simplement son départ. C’est donc une perception réductrice de sa part, que d’attribuer uniquement la responsabilité de sa chute à une conspiration ourdie par l’armée et l’opposition. D’ailleurs, l’on pourrait lui poser la question de savoir à combien de conspirations militaro-civiles supposées ou réelles, son régime a survécu depuis son avènement au pouvoir en 1987. La vérité est que ni l’argent, ni l’armée, ni une partie de l’opposition politique (dans l’interview Blaise Compaoré a notamment accusé certains cadres du MPP) n’auraient pu venir à bout du système Compaoré sans l’implication profonde du peuple burkinabè.
Cela dit, l’on peut comprendre que Blaise n’ait toujours pas compris ce qui lui arrive aujourd’hui. En effet, après 27 ans de règne sans partage réel du pouvoir, après tant d’années de privilèges, d’honneurs et de gloire, Blaise Compaoré peut avoir du mal à s’accommoder d’une autre vie. Et pourtant, c’est cette réalité qu’il doit désormais se préparer à vivre.