L’art sénoufo est à l’honneur au musée Fabre de Montpellier, dans le sud de la France. Une exposition inédite, consacrée aux sculptures de ces artistes d’Afrique de l’Ouest qui ont tant influencé l’art occidental. Présentés pour la première fois en France, les 160 sculptures, masques et autres objets rituels proviennent de collections privées et publiques, américaines et européennes.
L’expression « art sénoufo » a été inventée par les collectionneurs, les amateurs d’arts européens au début du XXe siècle pour désigner la production d’objets d’une aire géographique comprise entre le Burkina Faso, le nord de la Côte d’Ivoire et le Mali. Une production qui était principalement destinée à deux sociétés d’initiation.
Poro et sandogo
« Cette exposition montre deux grands pôles, les univers des sociétés initiatiques du poro et du sandogo, explique le directeur du musée Fabre, Michel Hilaire. Les rituels poro sont des rituels d’initiation principalement masculins, à caractère secret, qui génèrent tous ces objets. C’est lors des funérailles qu’on présente souvent ces statues masculines et féminines. Les rituels sandogo sont plutôt des rituels féminins, liés plutôt à tout ce qui est de la divination. »
Le symbole du Calao
Le Calao est une figure centrale dans l’art sénufo, un gros oiseau au long bec et au ventre rebondi. On retrouve ce symbole du Calao de façon récurrente dans l’art senufo. Et Michel Hilaire est littéralement tombé amoureux de certaines des pièces qu’il présente dans son exposition. « Il y a toute cette symbolique liée à la fertilité, à la fécondité et finalement au renouvellement perpétuel de la vie. Le ventre qui montre la fécondité. Il y a aussi ce bec planté dedans qui est évidemment un symbole phallique. Le Kalao est un peu le fil conducteur dans cette sculpture senufo », explique-t-il.
Sans parler des autres figures, des statuettes oblongues aux seins coniques, des personnages aux jambes courtes et aux lignes épurées. Pour mieux les voir, le musée Fabre a adopté une scénographie dépouillée et ouverte. On peut tourner autour des œuvres et les contempler sous tous les angles.
L’art senoufo et Picasso
À l’origine, il s’agit bien d’objets rituels. Mais ils possèdent une telle puissance artistique que notre regard d’Occidentaux en a fait des objets d’art. Picasso, Fernand Leger, André Derain s’en sont inspirés.
« C’est toute l’ambiguïté d’une telle exposition, remarque l’historienne de l’art Bérénice Geoffroy-Schneiter. Les objets sont présentés comme des œuvres d’art à travers notre regard occidental, qui ne peut être qu’ébloui par la pureté et la stylisation de ces formes. Mais il ne faut jamais oublier : c’étaient d’abord des objets qui répondaient à des fonctions rituelles, qui n’étaient pas forcément destinés à être vus par tous. L’ambiguïté de cette exposition consiste à expliquer qu’il ne faut pas tirer ces objets vers nous, vers notre regard, notre grille de lecture, mais en même temps les regarder comme des objets destinés à la divination, à la guérison, à des rituels de possession, d’initiation. En même temps, ce sont des objets qui forcent l’admiration, parce que les artistes africains fabriquaient du beau au service du rituel. »
La signature de l’artiste
Et les artistes dans tout cela ? Sont-ils les oubliés de cette exposition ? Oui et non. Oui, parce que ces objets non signés – datant de la fin XIXe ou début XXe siècle – ont été pris dans les territoires colonisés sans considération des artistes qui les ont créés. En même temps, non, ils ne sont pas oubliés, car, de plus en plus, les historiens de l’art recherchent les traces de ces artistes.
« L’exposition montre qu’il y avait une migration des artistes, affirme Bérénice Geoffroy-Schneiter. Il y avait des commandes passées auprès des artistes. Ce n’est pas parce qu’un artiste ne signe pas, qu’il n’était pas reconnu. Il y avait même des mécénats dans l’art africain, un mécénat royal, des sociétés plus ou moins puissantes qui passaient des commandes à des artistes. Ce n’est pas parce que l’artiste ne répondait pas aux mêmes critères que les artistes occidentaux chez nous, qu’il n’était pas reconnu dans son propre village et dans sa propre culture. »»