Lauréat du Prix 2009 du WOMEX (Expo Musiques du Monde) pour les artistes et professionnels world-music
Staff Benda Bilili («Regarde au-delà des apparences») est un orchestre né en 1999 et il est composé de 8 musiciens de rue handicapés, grands fans du «Godfather of Soul» feu James Brown, qui vivent autour du zoo de Kinshasa, la capitale de la République Démocratique du Congo (RDC). Victimes de la polio, certains membres de ce groupe se déplacent en fauteuil roulant non électriques.
Le prix 2009 du WOMEX (Expo Musiques du Monde) qui a réuni les artistes et les professionnels de la Word music provenant d’une quarantaine de pays, a été décerné au Staff Benda Bilili à Copenhague, au Danemark.
Le WOMEX, qui existe depuis 1994, voyage à travers l’Europe: de Berlin à Bruxelles, Marseille, Stockholm, Rotterdam, Essen, Newcastle, Séville et Copenhague.
«Il est tellement bon de voir le Congo de retour. Le Congo a toujours été une puissance musicale en Afrique. Il est merveilleux que ce retour ait lieu avec Staff Benda Bilili», a dit, à l’occasion, Gerald Seligman, le président du WOMEX.
Staff Benda Bilili est formé de 8 musiciens: Ricky, leader fondateur, Koko, Théo, Djunana, Roger, Kabossé, Cavalier et Zadis.
«Nous nous sommes inspirés de notre vie dans les rues de Kinshasa. On y dort, on y mange, les répétitions ont lieu dans la rue. Les gens qui nous entourent: les enfants vagabonds, les réfugiés de guerre, les prostituées, les orphelins. Ce sont les vrais héros de notre pays», dit Ricky, (55 ans), leader de Staff.
Frappé par la poliomyélite à 5 ans, il a décidé que «même si la vie est dure, il faut pas jeter l’éponge, il faut lutter», faisant de la rue son école.
Les membres de Staff Benda Bilili sont devenus des maîtres dans l’art de s’arranger.
Conformément à l’article 15 de la Constitution Congolaise, «Arrangez-vous!», devenu la devise d’une métropole au bord du gouffre qui, de «Kin-kiesse, Kin-la-joie», s’est tout d’un coup, transformé en «Kin-kiadi, Kin-la-tristesse: la ville poubelle».
Créé il y a 10 ans, c’est maintenant que Staff Benda Bilili commence à savourer le succès.
En 2006, en vue des élections en RDC, il a composé son premier succès: «Let’s go and vote».
Mais c’est en mars 2009 qu’est sorti le premier album, «Très Très Fort», enregistré en clando au zoo de Kinshasa, parmi les chevaux du président Kabila, par Vincent Kenis, ex-musicien de Papa Wemba et aujourd’hui producteur artistique à Bruxelles, avec un MacBook et un micro, qui fut utilisé par le mythique chansonnier français Jacques Brel.
Le Cd est sous Crammel Disc, une étiquette indépendante belge, spécialisée en rock alternatif et musique africaine traditionnelle moderne, qui a engagé le groupe, signalé par les jeunes photographe et publicitaire français Renaud Barret et Florent de La Tulaye, fondateurs d’une petite société de production: «la Belle Kinoise», .
Les membres du Staff ont eu une avance de 7.500 dollars sur leurs droits. Une petite fortune à Kinshasa qu’ils (excentriques mais pas fous) ils se sont empressés de déposer sur le compte de l’Association Staff Benda Bilili.
Ricky voudrait s’acheter une maison pour ôter ses gosses de la rue et avoir un vrai local pour les répétitions. Roger s’est acheté un vélo pour lui et sa fiancée. Koko a installé un nouveau moteur sur sa Peugeot bleue.
Il a été produit aussi un vidéo avec des images incroyables (et musique de «Très très fort») ainsi qu’un magnifique reportage de Yann Plougastel, publié sur le quotidien français «Le Monde».
Pourquoi le titre «Très Très Fort?» L’explication, c’est encore une fois Ricky qui la donne:
«Comme tout le monde dans les rues de Kinshasa, handicapés ou pas, nous devons être forts. Les autorités nous ignorent, c’est une question de survie».
En effet Staff Benda Bilili est un orchestre formé de musiciens handicapés et pauvres qui, de jour, vivent d’expédients et de nuit jouent dans les rues de Kinshasa. Et en plus, ils sont très bons.
«Staff Benda Bilili!» hurle Ricky et le reste de la gang, poings levés, répond: «Très, très fort!», comme un cri de guerre semblable à un conjuration du mauvais sort quotidien.
C’est ainsi que partent les concerts de Staff Benda Bilili qui pompent rumba et blues, toute la nuit, sur une sono plutôt mal en point, défonçant les tympans.
Mais leur musique s’est améliorée avec le temps. Elle est plus dense, plus blues et plus funk, avec d’évidents clins d’oeil à James Brown.
Mais il y a toujours cette énergique rage ensoleillée qui la distingue des mélodies aseptiques des stars congolaises comme Papa Wemba ou Koffi Olomide; elle se rapproche plus du charme de Wendo Kolosoy et de Franco, les vétérans de la rumba congolaise des années 60.
Il y a un an, Damon Albarn, le leader du groupe anglais Blur, a expérimenté leur talent, en voyage en RDC avec le guitariste et chanteur malien Amadou (Amadou & Mariam), et les Massive Attack pour Africa Express, son association de promotion de la musique africaine dans le monde anglo-saxon.
«Une merveilleuse soirée, en parfait esprit Africa Express. Des musiciens cotés en Afrique et en Occident jouaient avec un orchestre de handicapés sans demeure fixe. Une musique improvisée et titubante, douloureusement belle», a écrit un journaliste de l’«Independent», présent à une jam-session organisée avec Staff Benda Bilili.
Un mérite particulier va à Roger qui, se rappelant que son grand-père du Bas-Congo, jouait un instrument fait d’une calebasse, un arc et une corde, en a créé un avec ce qu’il a trouvé: une boite de conserve, un morceau de bois et une corde de guitare.
Modifiant la tension de la corde avec une main et la grinçant avec l’autre, il a réussi à sortir des mélodies de ce bricolage improbable.
Le jeune musicien venait ainsi d’inventer le « satongué », nom d’un magicien bon avec un seul jambe et un seul bras, cité dans un conte traditionnel pour enfants.
A force d’exercices, de répétitions et d’improvisations déchaînées, Roger est devenu un musicien extraordinaire, immédiatement noté et enrôlé, en 2005, par Ricky qui l’a pris sous sa protection, lui a enseigné les accords, les mélodies et les rythmes.
Et en très peu de temps, Roger a révélé une virtuosité incroyable, capable de tirer et inventer des sons fluides ou névrotiques.
Quand ensuite on a eu l’idée d’amplifier on « satongué », l’effet a été comme avoir un Jimi Hendrix planté au centre de l’équivalent congolais du « Buena Vista Social Club » de Cuba.
«J’en peux plus de poireauter dans ce ghetto et de pâtir la faim. Le Congo est un pays où on est toujours en train de souffrir et j’aspire à vivre une vie meilleure. Je joue la musique pour obtenir quelque chose dans le futur. Je fais la musique sans frontière, le blues international blues. Faire le musicien, c’est un métier. Et je veux devenir directeur artistique», déclare Roger, désormais devenu un virtuose hors classe, avec son unique corde et la boite de conserve.
Afri-Nous