Une antithèse qui se dé…voile?
Né en 1930 en Syrie et résident à Paris, Ali Ahmad Sai’ïd Esher (alias Adonis) est une des voix les plus autoritaires de la culture arabe. Plusieurs de ses œuvres ont été traduites par la maison d’éditions Guanda: les volumes de poésie «Mémoires du vent» et «Cent poésies d’amour», les recueils d’essais «La prière et l’épée» et «La musique de la baleine bleue» et le livre «Océan noir», recueillant les réflexions du poète syrien sur divers thèmes d’actualité et en particulier deux interventions sur le voile islamique dont est exposée ci-après, une synthèse.
Ces propos, qui sont bien sûr propres à l’auteur, se prêtent à toute éventuelle réplique à laquelle restent ouvertes les pages de votre journal Afri-Nous.
Malgré l’excessif attachement religieux au voile (hijab) de certains, celui-ci n’est pas un des piliers de l’Islam. S’il en était ainsi, il y aurait un Texte y relatif comme c’est le cas pour la prière, le jeun, le pèlerinage et la «jihad» (la défense de l’Islam). Au contraire il n’y a pas un Texte coranique clair et précis qui fasse du voile un pilier de l’Islam.
C’est plutôt une question semi-religieuse, plus apparentée à l’habitude, au maintien d’une digne conduite. L’histoire enseigne que dans la vie pratique, plusieurs femmes musulmanes de haut rang social et religieux ne mettent pas le voile pour s’adresser aux hommes.
Il y en a qui soutiennent qu’en Occident, la femme musulmane choisit librement le voile. C’est une opinion discutable. Quand on voit à Paris par exemple, des gamines qui n’ont pas plus de 4 ans, portant le voile, est-il peut-être possible d’affirmer qu’elles l’ont porté librement?
Pourquoi les immigrés musulmans fondamentalistes voient-ils dans l’ouverture des pays hôtes, uniquement la possibilité de déclarer leur clôture et leur isolement, de migrer à l’intérieur de leur migration? C’est grâce à une ouverture qu’ils se trouvent dans ces pays.
Pour cela, quand ils expriment leur credo ou le pratiquent à travers le voile, ils offensent en premier lieu l’Islam car ils le réduisent à une forme superficielle et l’exposent au monde comme un slogan et en font un rite formel. Est-ce peut-être ainsi que les musulmans devraient-ils présenter l’Islam qui a été, pendant plusieurs siècles, symbole de créativité et rayonnement de civilisation? Ils ne comprennent pas qu’avec ce comportement, ils mettent le voile à l’Islam lui-même, ils lui «couvrent le visage», en donnent une image déviée et le «suffoquent»?
Surtout que certaines positions fondamentalistes imposent de regarder leurs souteneurs, non comme des hommes dévoués et religieux, mais comme des hommes politiques.
La mosquée est l’unique lieu où exercer pleinement ses droits religieux, l’unique lieu qui distingue un musulman, révélant l’identité religieuse en Occident. L’affirmation du privé religieux et l’apparition des symboles religieux distinctifs dans les lieux publics (institutions éducatives, lieux de rencontre ouverts à tous, etc.) est une violation de l’appartenance et de l’identité commune, un signe de volonté séparatiste et de refus de l’intégration.
En conclusion, l’interprétation religieuse qui impose le voile à la femme musulmane vivant dans un pays laïc où la religion est séparée de la politique, où la femme a les mêmes droits et devoirs de l’homme, révèle une mentalité qui ne met pas le voile seulement la femme, mais aussi à l’homme, la société, la vie et l’esprit. C’est une interprétation qui donne droit, à plusieurs occidentaux, de considérer l’imposition du voile comme une action tendant à miner les fondements de la lutte de l’Occident pour la liberté, la justice et l’égalité, d’y voir la prétention d’effacer le rôle de la femme dans la vie publique, sociale, culturelle et politique.
Adonis