L’homme de la Révolution algérienne.
Premier président de l’Algérie indépendante, Ahmed Ben Bella est mort, mercredi 11 avril 2012 à son domicile familial d’Alger. Sa longue vie, commencée il y a 96 ans à Maghnia dans l’ouest algérien, a mené ce fils de paysans marocains émigrés à la frontière algéro-marocaine, des prisons françaises au sommet de l’Etat algérien nouvellement indépendant jusqu’à son renversement en 1965.
Le 19 juin 1965, à l’aube, des chars sont postés à tous les points stratégiques d’Alger. Pas besoin d’un dessin pour les Algérois, ils comprennent tout de suite qu’Ahmed Ben Bella vient de perdre le bras de fer qui l’oppose à son ministre de la Défense, le colonel Houari Boumedienne. Celui qui aura connu l’exaltation des premiers jours de la toute nouvelle République algérienne démocratique et populaire d’Algérie, ne sera parvenu à se maintenir à sa tête qu’à peine 21 mois.
L’Algérie indépendante est née dans la douleur et la présidence d’Ahmed Ben Bella s’est usée en quelques mois sous les coups violents portés à l’insurrection kabyle et aux oppositions politiques. La guerre contre les Français est finie mais la toute jeune République ne connaît pas pour autant les lendemains qui chantent que voulait bien promettre la révolution.
Dès la signature des accords d’Evian, le 18 mars 1962, tout juste libéré et rentré en Algérie, Ben Bella veut faire du «passé table rase». A la tête du premier gouvernement de l’Algérie indépendante, il s’attaque à toutes les structures construites au fil de la guerre d’indépendance. Du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) qui est l’aile politique du Front de libération nationale (FLN) en passant par les directions des Wilayas ou les organisations politiques, tout est démantelé.
Ben Bella donne une nouvelle Constitution au pays en court-circuitant l’Assemblée nationale qui reconnaît le Front de Libération Nationale (FLN) comme étant un «parti unique d’avant-garde». Le nouveau président, élu en septembre 1963, a désormais les mains libres pour instaurer le «socialisme algérien» qu’il a eu tout le loisir d’élaborer tout au long de ses 6 années (1956-1962) de captivité dans les prisons françaises.
C’est ainsi qu’il maintient des liens avec la France tout en intensifiant les relations avec Cuba et avec l’Egypte du colonel Nasser. Pour frapper les esprits et illustrer la dignité retrouvée de la nouvelle Algérie, il interdit les yaouleds, les petits cireurs de chaussures qui sont pour Ben Bella une survivance de la colonisation. Las, au fil des mois, la situation économique de la jeune République ne fait qu’empirer. Le départ des Français suivi dans la foulée par la ruée des paysans dans les villes, la baisse générale de production et le chômage qui touche plus de 2,5 millions de personnes sur les 11 millions d’habitants du pays en 1964, ébranlent bien des certitudes.
En cette nuit de juin 1965, un jeune colonel de 33 ans et ministre de la Défense, Houari Boumedienne, prend de vitesse Ahmed Ben Bella qui projetait de l’écarter du gouvernement. Arrêté, le président déposé est conduit dans les caves du ministère de la Défense. Détenu par celui qu’il voulait évincer, il croit sa dernière heure arrivée. Durant 8 mois, il sera tenu au secret absolu pour être ensuite cloîtré pendant 12 ans dans un deux-pièces au château Holden dans la plaine de la Mitidja, près d’Alger, surveillé nuit et jour par les caméras et les micros de la redoutable sécurité militaire. Seule consolation pour celui qui a tout perdu, sa femme Zohra le rejoint en captivité en 1971, avec les deux petites filles que le couple a adoptées.
Il faudra attendre 1978 et la mort de Houari Boumedienne, pour que l’ex-président Ben Bella soit transféré et placé en résidence surveillée à Msila. Sa famille l’accompagne dans cette ville située à 250 kilomètres au sud-est d’Alger. Libéré par le président Chadli en 1980, il s’installe en Suisse l’année suivante. Il ne reviendra en Algérie qu’en 1990. Depuis, il s’est exprimé sur la vie politique algérienne notamment en appelant à l’abstention pour les municipales de 1990, lors des premières élections libres depuis l’indépendance qui devaient voir le Front Islamique du salut remporter 54% des municipalités. Ce qui n’a jamais empêché Ben Bella de se réclamer d’un islamisme mesuré et pacifique.
Revenant récemment sur sa longue vie et plus particulièrement sur son rôle dans le soulèvement algérien, il le résume sans détour en affirmant: «Le 1er novembre*, c’est moi»! Lui et bien d’autres… mais à 96 ans on ne peut lui en vouloir d’avoir une mémoire un peu sélective tant son parcours comporte d’épisodes. Appelé sous les drapeaux français en 1937, il effectue son service militaire puis la campagne d’Italie au sein des Forces françaises libres, qui lui vaudra la médaille militaire. Parenthèse improbable mais réelle, il joue comme milieu de terrain pour l’Olympique de Marseille durant la saison 1939-1940…
Ses activités politiques lui font rejoindre rapidement la clandestinité après sa contribution à la fondation de l’Organisation spéciale (OS). Il est arrêté à Alger en 1950 après sa participation à la préparation du hold-up de la poste d’Oran, destiné à renflouer les caisses de l’OS. Condamné à 8 ans de prison, il s’évade après 2 ans de détention et parvient à rejoindre Le Caire. En 1954, il est parmi les 9 « historiques » qui préparent l’insurrection de la Toussaint 1954. Bien qu’à l’étranger ce jour-là, il est considéré comme le chef du Front National de Libération fondé par l’OS.
En 1956, l’avion dans lequel il voyage entre Rabat et Tunis en compagnie de Mohamed Khider, Mostefa Lacheraf, Mohamed Boudiaf et Hocine Aït Ahmed est contraint de se poser à Alger. Il passera les 6 prochaines années emprisonné en France alors qu’en parallèle son aura de chef ne cesse de s’affirmer jusqu’à ce qu’en 1962, après 8 de guerre, soit signé l’armistice. On connaît maintenant la suite…
* le 1er novembre 1954: date du déclenchement de la révolution algérienne.
Claire Arsenault