Hampâté continue d’épater!
Les éditions Actes Sud rééditent les Mémoires d’Amadou Hampâté Bâ dans sa prestigieuse collection Thesaurus où cohabitent les plus grands écrivains du monde entier, de l’Américain Paul Auster à l’Autrichienne Elfriede Jelinek en passant par Ovide, Voltaire et Ibn Khaldun. Pour redécouvrir la narration magique du conteur de Bandiagara, évocatrice des mondes traditionnels menacés.
Il y a un peu plus de deux décennies disparaissait Amadou Hampâté Bâ à l’âge canonique de 91 ans. En commémorant à Bamako l’an dernier le vingtième anniversaire de la mort du «sage de Marcory», la présidente de la Fondation Amadou Hampâté Bâ, qui n’est autre que la fille du défunt, disait combien l’homme restait présent à travers son oeuvre littéraire originale, riche et protéiforme. Auteur de récits initiatiques et de contes puisés dans le vaste corpus oral ouest-africain, mais aussi de textes historiques, biographiques et philosophiques, de romans et de mémoires, Hampâté Bâ a consigné dans ses milliers de pages écrites une sagesse, une connaissance millénaire, mais aussi une parole marquée par les luttes et les fractures du temps présent.
La réédition ces jours-ci des Mémoires d’Amadou Hampâtré Bâ qui fait entendre et réentendre ces paroles d’une richesse exceptionnelle vient confirmer que l’Afrique des bibliothèques fragiles a vécu. Cette oeuvre, qui a survécu à la mort de son auteur et lui survivra sans doute encore longtemps, rappelle que désormais, en Afrique comme ailleurs, chaque fois qu’un vieillard meurt, ce n’est plus une bibliothèque qui brûle !
Parues pour la première fois dans les années 1990 en deux volumes séparés, sous les titres « Amkoullel, l’enfant peul » et « Oui, mon commandant », ces Mémoires avaient suscité un véritable engouement auprès du grand public francophone.
Pour son éditeur, Bernard Magnier, qui est l’un des meilleurs connaisseurs des heurs et malheurs de l’édition africaine, Amkoullel était le premier vrai best-seller de la littérature africaine contemporaine. Magnier décèle aussi dans la narration d’Hampâté Bâ une tonalité nouvelle, la confiance retrouvée de l’écrivain africain dans le destin de sa communauté, une confiance qui n’a peut-être été jamais perdue. Hampâté Bâ, lui, célèbre la communauté, ce qui met ces « Mémoires » en porte-à-faux avec les autres récits d’enfances africaines, de Camara Laye à Bernard Dadié ou Aké Loba, où la communauté est écartée au profit de l’émergence de l’individu.
Ses Mémoires s’ouvrent sur cette affirmation emblématique: «En Afrique traditionnelle, l’individu est inséparable de sa lignée, qui continue de vivre à travers lui et dont il n’est que le prolongement». Or cette communauté est à un tournant de son histoire. Elle est tourmentée, tiraillée entre des traditions souvent antagonistes: l’islam et l’animisme, la confrérie tidjane véhiculée par les Toucouleurs (communauté dont est issue sa mère, originaire de la Vallée du Sénégal) et les Peuls du Macina (dans la boucle du Niger au Mali, d’où est issu son père), l’Afrique et la France, l’oral et l’écrit… Les trente premières années de sa vie qu’il met en scène racontent les allers et retours incessants entre ces différents pôles, notamment entre la société traditionnelle africaine et le monde colonial dominant. La conciliation difficile de ces deux mondes passe par la connaissance. C’est le sujet de ces Mémoires.
Ce qui plaîet aussi dans ces pages, c’est l’écriture. C’est en conteur et griot qui ne dédaigne ni l’humour ni l’ironie que Hampâté Bâ raconte les années les plus formatrices de sa vie, ressuscitant avec minutie le cadre dans lequel il a évolué et les acteurs qu’il a alors côtoyés.
«Plusieurs amis lecteurs du manuscrit se sont étonnés que la mémoire d’un homme de plus de 80 ans puisse restituer tant de choses, et surtout avec une telle minutie, dans le détail. C’est que la mémoire des gens de ma génération, et plus généralement des peuples de tradition orale qui ne pouvaient s’appuyer sur l’écrit, est d’une fidélité et d’une précision presque prodigieuses. Dès l’enfance, nous étions entraînés à observer, à regarder, à écouter, si bien que tout événement s’inscrivait dans notre mémoire comme dans une cire vierge», écrit Hampâté Bâ dans l’avant-propos. Les critiques ont parlé de «l’oralité couchée sur papier».
Amadou Hampâté Bâ était né en 1900 à Bandiagara au Mali. Après avoir été fonctionnaire colonial, il a travaillé comme chercheur au sein de l’Institut français de l’Afrique noire (IFAN), fondé par Théodore Monod. Grâce à ses travaux pionniers dans le domaine de la tradition orale africaine, il a réussi à s’imposer comme ethnologue et historien. Témoignages de son époque, ses Mémoires sont construites sur le modèle des épopées traditionnelles de la savane subsaharienne qu’il a contribué à faire connaître.