Une brillante réflexion de notre frère camerounais sur le thème de l’enjeu des biens communs et la crise socio-politique des Etats africains d’aujourd’hui.
Aujourd’hui plus que jamais, il semble important de démontrer la valeur du bien commun au sens d’un projet de réalisation d’une société politique en Afrique, mais penser la société politique à partir du bien commun se révèle complexe quand on assiste, de part et d’autre dans le continent, à des formes de légitimation d’un politique purement arbitraire. Ici, chacun veut à tout prix bâtir son propre milieu de référence. C’est une forme de célébration d’une crise d’identité se manifestant par la perte de repères édifiants, d’une part, et la prolifération de jalons nouveaux de l’autre. Une telle situation amène évidemment à se poser des questions sur la possibilité de l’exercice du bien commun au sein de certains Etats africains tel qu’il se livrent aujourd’hui en scène aux yeux du monde.
Si le bien commun se voit parfois nié et même relativisé par quelques politiques, c’est surtout à cause de la croissance d’une incertitude socio-économique présente au sein des Etats et d’une fierté monte de l’individualisme, lesquels soutiennent l’impossibilité d’atteindre une quelconque notion de justice en tant que condition d’exercice du bien commun.
Une telle situation avoue notamment l’inaptitude humaine de faire acte de raison parfaite. En ce sens, toute justice, toute vérité, le bien commun compris, sont tenus pour aliénation ; on pense que chacun a droit à sa vérité, ou que la vérité se trouve du côté du plus fort, du plus impressionnant.
On assiste ainsi à la montée de l’autorité impersonnelle, laquelle s’affirme par un certain effet corrosif des valeurs morales, démocratiques, humaines, un effet alimenté par la disposition permanente du politique à faire le mal, à manipuler les masses, intimider les populations et démoniser l’adversaire.
Par ce fait même, l’autorité perd sa capacité à gérer la tutelle des conditions de possibilité de l’ordre social et cède parfois à l’anarchie. C’est le grand théâtre auquel on assiste dans certains Etats africains aujourd’hui.
L’exercice du bien commun se révèle pour ainsi dire comme débat incontournable au sein des Etats, un débat qui intéresse tous et chacun dans sa sphère de compétence; aucun Etat africain ne peut prétendre vivre isolé dans la mesure où l’histoire politique économique et sociale de quelque pays coïncide avec celle du continent et celle du monde tout entier.
C’est une histoire en perpétuel mouvement, une réalité vivante qui n’offre aucune condition de destruction à la société politique.
C’est une vérité qui transcende les intérêts particuliers, une réalité définie ni au sens d’une loi ni encore moins au sens d’une norme à appliquer simplement.
L’exercice du bien commun dans l’Etat africain aujourd’hui suppose et impose un débat dans la perspective de ce qui semble juste, bien et fondamental au sein de la communauté africaine. Il pourrait cependant s’opposer à la vertu et à certaines valeurs conventionnelles.
Parler du bien commun en tant qu’exigence d’une réalité politique africaine aujourd’hui suppose que l’on identifie un point de référence tel la devise du pays, permettant aux points de vue particuliers, une possibilité de confrontation et de conciliation à la lumière des valeurs humaines communes et éternelles.
Cette conception du bien commun permet d’affirmer qu’il s’agit d’une véritable condition de liberté individuelle, d’inclusion sociale, pacifique et d’une condition de développement global du continent.
En ce sens, le rapport entre bien commun, loi, et exercice de l’autorité, s’accentue avec plus de vigueur.
De même, la légitimité de la loi ne se justifie que si son exercice favorise la liberté de l’homme et s’il poursuit notamment la recherche du bien de la communauté.
Pour cette raison, l’autorité devrait nécessairement exclure l’usage des moyens coercitifs; car là où la force s’impose de manière agressive, l’autorité proprement dite a échoué. Il est clair que c’est le bien commun qui procure un sens à tout corps social et à l’homme en tant que acteur social. Pour cette simple raison, l’ordre politique devrait parfois se soumettre à l’exigence du bien commun et l’autorité politique devrait notamment éviter de confondre les exigences du bien commun à ceux du droit positif au risque de parvenir à des déviances politiques et sociales telles qu’elles se sont produites au cœur même des régimes totalitaires du XX° siècle.
Les aberrations du totalitarisme nous enseignent en effet que la reconnaissance de l’existence du bien commun ne consiste pas nécessairement à soumettre les volontés individuelles à un certain ordre moral arbitraire; il est plutôt question d’une délibération prônée au nom de la tolérance des valeurs de l’autre et surtout du bien de solidarité si cher aux peuples africains. Un tel esprit se manifeste à travers une confrontation et se finalise dans un compromis de convivialité pacifique.
Certes, le bien commun est caractérisé par une prise de décision complexe, toujours confronté à de nouvelles conditions de croissance sociale; mais la nécessité de préserver la cohérence des sociétés africaines qui aujourd’hui vivent dans une perpétuelle atmosphère d’incertitude et d’insécurité est évidente. L’urgence repose alors sur la mobilisation responsable de l’intellectuel, du politique, de la société civile africaine et de la communauté internationale.
Cette mobilisation devrait s’appuyer sur la question du devenir socio-économique du continent tout entier, sur les risques de l’effacement du politique et les enjeux de l’exercice du bien commun au sein des Etats africains. Il faut éduquer les populations à la gestion de la chose commune, apporter plus d’éclaircissements sur la question des processus de démocratisation, proposer des solutions aux multiples questions et dilemmes qui surgissent aujourd’hui et font obstacle à la construction du bien-être des populations africaines. Il faudrait en un mot, réfléchir sur les réalités qui conduisent à repenser le politique, et tenter de le refonder à sa base en mettant la dignité inaliénable des individus et la souveraineté des Etats au centre de tout débat. Une telle réflexion critique permettra aux protagonistes du politique africain de réévaluer la nécessité et l’enjeu du bien commun dans le cadre des possibilités politiques actuelles.
Luc Mbaha
Médiateur Interculturel
et Expert en Politique internationale et Coopération au développement