Les cordes de la discorde!
La réponse à apporter aux violences perpétrées par Boko Haram divise les Nigérians: dans le Nord, où les extrémistes islamistes ont concentré leurs bombardements et fusillades, il y a une forte demande de dialogue ; dans le Sud, l’opinion soutient que tant que les «terroristes» n’auront pas mis fin à l’insurrection, qui a fait plus de 1000 victimes depuis 2010, il ne pourra pas y avoir de négociations.
Le président Goodluck Jonathan a dit à maintes reprises être disposé à négocier, mais pas avec un Boko Haram «sans visage. Vous devez vous identifier clairement. Vous devez nous dire pourquoi vous agissez ainsi», a-t-il déclaré en juin.
Le gouvernement manie également le bâton. Cependant, le vote sans précédent d’un budget de 6 milliards USD pour la défense et la sécurité pour l’année 2012, la collaboration avec les forces de sécurité occidentales et la fermeture des frontières du Nigéria avec ses voisins du Nord n’ont pour l’instant pas affecté les salafistes.
En juin, M. Jonathan a renvoyé son Conseiller à la sécurité nationale, le général Andrew Azizi qui est également la personne la plus étroitement associée à la politique de Boko Haram. Originaire du même État que le Président et premier sudiste à occuper ce poste, il était devenu un poids politique, selon Innocent Chukwuma, le directeur de la Cleen Foundation, une organisation non gouvernementale (ONG) de réforme du secteur de la justice.
Le remplaçant de M. Azizi, le colonel Sambo Dasuki, qui est un membre de la famille royale de Sokoto – le coeur de la classe dominante du nord du pays – a fait de la visite du bastion de Boko Haram au nord-est du pays une priorité, et s’est publiquement assuré de l’aide des chefs traditionnels pour promouvoir le dialogue.
Des tentatives ont déjà été entreprises pour approcher le groupe. Ibrahim Datti Ahmad, le président du Conseil suprême pour la charia qui aurait l’estime du fondateur de Boko Haram, Mohamed Yusuf, a participé à la dernière tentative en date.
Les militants ont mis fin aux contacts, accusant le gouvernement de faire preuve de mauvaise foi parce que les médias avaient eu vent des négociations.
Cette décision constituait une réponse aux récents rapports concernant une initiative entreprise au début du mois de juin et devait amener l’interlocuteur potentiel, l’islamologue Dahiru Usman Bauchi, à «se tenir à l’écart».
Selon une étude réalisée par la Cleen Foundation et l’Alliance pour des élections crédibles en août 2011, 58% des Nigérians se prononçaient en faveur du dialogue avec Boko Haram. Cette étude n’a cependant pas fait ressortir d’importantes différences régionales: ainsi, 80% des habitants du nord-est du pays étaient favorables aux discussions contre seulement 35% des habitants du sud-est.
Depuis les attaques perpétrées contre les églises dans le Nord, les habitants du Sud, qui sont majoritairement chrétiens, se montrent de moins en moins tolérants, et ce, bien que la majorité des victimes de Boko Haram soient des musulmans.
La première revendication de Boko Haram est l’instauration de la loi islamique dans tout le pays – elle laisse peu de place au dialogue dans ce pays multiconfessionnel.
Boko Haram demande également que des poursuites soient engagées à l’encontre des officiers de police responsables des meurtres de membres du groupe en juillet 2009, et notamment celui de son dirigeant Mohamed Yusuf, qui a été abattu alors qu’il se trouvait en garde à vue.
Des indemnisations auraient été versées aux familles, mais les hauts responsables de la police accusés des meurtres n’ont pas encore été jugés.
Boko Haram s’est transformé. À l’origine, ce groupe inspiré d’une tradition millénariste du Nord était considéré comme une réponse à la corruption et à l’injustice de l’État nigérian et de la classe dominante islamiste.
Après la mort de M. Yusuf, un jeune imam qui avait attiré un nombre important d’adeptes, le pouvoir a été transféré à Abubakar Shekau, qui était plus radical. Boko Haram a alors annoncé qu’il défendait la même cause que le mouvement djihadiste mondial.
Johnnie Carson, le Secrétaire d’État adjoint chargé du Bureau des Affaires africaines, a expliqué cette décision par le fait que Boko Haram est composé d’au moins deux organisations:
■ une organisation plus importante qui s’attache principalement à discréditer le gouvernement nigérian,
■ et une organisation moins importante, mais plus redoutable, qui utilise des moyens de plus en plus sophistiqués et devient de plus en plus dangereuse.
Les chefs traditionnels et les chefs islamiques du nord du pays sont perçus comme étant les détenteurs des clés du succès des négociations, pour lesquelles un délai a été fixé: selon les analystes, il s’agit du début de la campagne pour les élections présidentielles. Si les troubles ne prennent pas fin dans le Nord d’ici là, et que les élections ne peuvent pas être organisées en 2015, alors les 13 années de régime civil que le Nigeria vient de célébrer en mai pourraient vaciller.