Rappeurs frappeurs!
Kinshasa est considérée par beaucoup comme le commandement général de la musique africaine. Mais c’est aussi un territoire de culture urbaine où une génération consciente d’artistes musiciens dénonce les malfaits dans la politique de leur pays, mêlant ainsi sa voix à celle des autres épris de démocratie.
Les communes de Barumbu et de Kinshasa, dit « Bruits Kin », sont le socle du mouvement underground kinois. Depuis les années 90, c’est là que se concentre la crème des mouvements engagés du hip hop. Elle se nomme « Génération consciente des artistes musiciens congolais ».
Cependant, ces deux communes kinoises ont un autre visage, un visage plus triste : ici, les populations meurent de faim presque chaque jour. Les habitants ne songent qu’à l’instauration d’un système politique « mangercratique » au quotidien.
« Kinshasa est un gros village. Nous devons dénoncer les maux qui l’empestent », indique un membre de la « Génération consciente des artistes musiciens congolais.
Les « villageois », une de grosses calibres du mouvement underground congolais, autrement appelé « les Bawuta Kin » (les natifs de l’intérieur venus s’installer dans la capitale) est considéré comme la quinine de la capitale.
« Nous sommes stupéfaits. La RDC est atteinte de paludisme, parce qu’elle est malade de sa politique. Il lui faut une perfusion immédiate à la quinine« , conclut Rocky B, le leader de ce groupe de rap.
Ngwaka, un quartier fort réputé comme bastion des caïds, fumeurs de cannabis et pépinière des artistes underground de la capitale congolaise.
Des noms célèbres de la scène ici: Staff Benda Bilili, Rachel Mwanza, Mega Mingiedi, Youssoupha proviennent de là.
« De quel politique parle-t-on sur les ondes de télé? Il y a beaucoup de mensonges qui se racontent dans cette ville. On nous nous nourrit d’espoir et rien ne change. L’impunité règne. Dis donc ! C’est la chasse aux sorcières à Kinshasa. Bref, nous faisons le rap pour mieux nous exprimer et crier haro!« , révèle Paschiphik du KMS (Kin Maffia style). Le gosse de la commune de Bandalungwa, est connu pour ses textes engagés et virevoltants. Il a le vent en poupe et est apprécié de la jeunesse Kinoise.
Alex Ndende aka « Lexxus légal » est une autre figure emblématique de la scène hip hop congolaise. « Tous les artistes sont engagés à leur manière. La seule chose qui change, c’est qu’il y a des musiciens, nos ainés, qui sont résolument engagés dans l’amour et l’argent, alors que le mouvement underground kinois est, lui, résolument engagé dans le social. Le peuple a besoin d’être défendu d’une certaine manière« , relate le rappeur qui, dans ses oeuvres et différentes interviews, ne manque pas souvent des mots durs et sans complaisance pour dénoncer les maux qui déchirent son pays le Congo-Kinshasa.
Dans les titres des rappeurs congolais, on découvre les cris d’une génération d’artistes qui cherchent à faire reconnaitre, non seulement le rap dans le pays du « ndombolo », courant musical fort réputé en RDC, mais aussi font passer un message du changement politique pour un mieux être des populations.
Pour se faire de la publicité gratuite sur les ondes de télé et radio, certains musiciens de l’ancienne génération en RDC sont contactés par des politiciens et autres responsables au pouvoir.
« Nous connaissons bel et bien les relations qui existent entre nos ainés musiciens et les politiciens qui nous gouvernent. Où trouvent-ils l’argent pour donner aux musiciens? Entre-temps, ces musiciens passent sur les ondes de télé pour dire qu’ils ne sont pas mêlés à la politique pour se servir et être privilégiés. On a vu, lors de la campagne du chef de l’Etat en 2011, des musiciens partir chanter pour le président sortant Joseph-Kabila« , déclare le reggae man Bebson de la rue, très fidèle au poste de commande du groupe Trionyx, basé dans le quartier Ngwaka.
Sur un ton sévère, Docta Kash-Mamouth, un des membres des villageois de Kinshasa s’insurge contre les chanteurs qui, trop souvent chantent les éloges des politiques au pouvoir: « Koffi Olomide, Werrason, Papa Wemba, JB Mpiana, et tous nos ainés sont mêlés dans la politique mensongère du régime. Au lieu de crever l’abcès, ils sont tous en train de courir auprès des politiques pour mendier. On étouffe de la misère dans ce pays. Les gosses se retrouvent dans la rue, parce que les parents sont impayés. Et pour survivre, la population affamée, recourt à l’article 15« . Ce fameux article se résume dans en deux mots le quotidien congolais: « la débrouillardise ».
Actuellement, les rappeurs sont fort appréciés au-delà des murs kinois à cause de leurs messages protestataires. D’autant qu’ils abordent dans leurs chansons des titres qui mettent en relief les réalités congolaises et livrent leur réflexion sur la société congolaise.
En 2010, le groupe Kin Mafia style, KMS, a vu sa chanson ‘Tokowa pona Congo‘, (‘nous mourrons pour le Congo’), être censurée par la Commission nationale de censure, établie à Kinshasa. Le groupe n’a jamais obtenu gain de cause. Le pouvoir avait décidé!
Un motif de plus pour inciter la « Génération consciente » à poursuivre sa bataille de dénonciation pour une société juste et démocratique qui se traduit par cet appel: « Nous réclamons in extremis la bonne gouvernance« .