Un écrivain qui n’a pas… écrit en vain!
A la fin des années 1950, Ferdinand Oyono publie trois romans qui ont trait à la vie quotidienne en Afrique, à l’époque coloniale. Ces livres, qui mettent en cause aussi bien l’administration que la police ou l’Eglise des missionnaires, feront scandale dans cette période de décolonisation.
Qui n’a pas souri en lisant quelques passages du roman «Une vie de Boy», surtout dans celui où Toundi disait: «Je suis le boy du chef, le chef des boys». Une affirmation qui arrache un rictus au lecteur dans ce roman qui décrit l’arrivée des missionnaires et le rapport du colon avec les colonisés.
Cette oeuvre, publiée en 1956, est centrée sur le personnage de Joseph, boy instruit, placé chez le commandant d’un district de la colonie française. Le roman dénonce les pratiques autoritaires de la colonisation et, au-delà, la négation de l’humanité des colonisés à qui on ne pardonne pas de quitter leur place en découvrant l’envers du décor des maîtres blancs.
La place faite à la frustration sexuelle de Joseph vis-à-vis de sa patronne blanche et les turpitudes intimes de celle-ci offrent, par ailleurs, une approche renouvelée du problème colonial. Dans ce roman, l’humour s’associe au tragique. Pour Oyono, explique la spécialiste en littérature africaine, la seule relation entre les Africains et le pouvoir colonial est un rapport de violence.
Toutefois, si l’on se réfère au mythe, «Une vie de boy» montre que le héros Toundi est victime d’un châtiment parce qu’ayant trahi les siens, les vivants comme les morts, en refusant les épreuves initiatiques, en refusant de s’insérer dans la continuité des générations qui assurent la survie du groupe. L’Afrique profonde et ses traditions y sont peintes par l’auteur.
«Le vieux nègre et la médaille», publié la même année, se concentre sur la date symbolique du 14 juillet, fêtée dans un district éloigné.
Ce jour-là, Meka, qui a donné du terrain aux missionnaires pour leur église et dont les deux fils sont morts à la guerre, est d’abord heureux d’être honoré par une médaille de reconnaissance de la France, à laquelle tous ses proches applaudissent.
En deux jours, après une cérémonie qui tourne au grand guignol et une nuit d’humiliation, le vieil homme prend conscience que ce 14 juillet n’est, en fait, qu’une mise en scène hypocrite des pouvoirs coloniaux qui parlent d’amitié en maintenant une stricte exclusion des colonisés. La solidarité africaine qui l’entoure à la fin du roman constitue un contrepoint politique et, avec la fierté retrouvée du peuple colonisé, une réponse à la colonisation des Blancs, renseigne Mme Coudy Kane.
Les œuvres d’Oyono qui associent des registres variés, avec des pages drôles, grinçantes ou émouvantes, ont marqué les esprits dans cette période où s’esquisse la décolonisation. Dans son projet d’écriture, Oyono s’engage dans la critique directe de la colonisation et utilise l’humour comme une arme offensive pour montrer le caractère dérisoire de l’occupation coloniale.
L’univers fictionnel de Ferdinand Oyono se déploie dans le cadre étroit du contact entre les colons et les colonisés. Il n’a pas exploré d’autres sujets en cessant d’écrire des romans depuis 1960. Ce qui veut dire, dans une certaine mesure, que «ses productions étaient donc liées à la dénonciation du système colonial».
Son œuvre, «Chemin d’Europe», publiée en 1960, raconte, quant à elle, l’exploration plus ou moins chaotique du monde des Blancs, dans une bourgade africaine, par un jeune homme qui veut se couper de ses racines et rêve d’Europe malgré les mises en garde de son père.
Né le 14 septembre 1929 à Ebolowa, dans la Province du Sud, au Cameroun, Ferdinand Oyono est décédé le 10 juin 2010 à Yaoundé. Il avait fait, au lycée de Provins, en France, des études commencées au lycée de Yaoundé. Il a débuté en 1959 une brillante carrière de haut fonctionnaire avant de devenir ambassadeur du Cameroun dans divers postes (auprès des Nations Unies à New York, en Algérie, Libye, Grande-Bretagne et en Scandinavie…).
Le pamphlet de Mongo Béti, «Main basse sur le Cameroun, autopsie d’une décolonisation», est interdit à sa parution en France, en 1972, sur la demande du gouvernement camerounais, représenté à Paris par l’ambassadeur Ferdinand Oyono.