Hampâté en a épaté!
Le Malien Amadou Hampâté Bâ est une des têtes de proue de la littérature africaine orale avec son roman le plus connu, «L’étrange destin de Wangrin ou les roueries d’un interprète africain». Cet auteur, de l’avis du Pr. Bassirou Dieng, est à cheval entre la tradition et la modernité. Il est allé à l’école des traditionnalistes avant de consigner ces connaissances par écrits car ayant fréquenté l’école européenne.
Lire «L’étrange destin de Wangrin ou les roueries d’un interprète africain», malgré son volume qui frise les 400 pages, c’est se lier d’amitié et se prosterner volontiers devant cet instituteur, interprète au talent immense qui a réussi à se frayer un chemin d’orée avant le précipice. Un roman que l’on peut placer dans la littérature africaine orale même si, pour certains, il ressemble à une production autobiographique.
Et au Pr. Bassirou Dieng de lever quelques équivoques car, à son avis, cet ouvrage peut se lire à la fois comme un conte, une épopée, ou comme un mythe car il y a un contrat entre un individu et une divinité (la petite pierre de Wangrin qui symbolise le lien qui l’unissait à Gongoloma-Sooké, son totem). Tant que ce pacte est respecté, l’individu bénéficie de privilèges. Il va, selon le Pr. Dieng, «de conquête en conquête et c’est exactement la même chose pour des héros de l’épopée».
Tant que le valeureux est en possession des potions magiques et mystiques, il est invaincu et invincible. Dans l’épopée Mandingue de Djibril Tamsir Niane, tant que Soundjata n’avait pas découvert le secret de l’ergo de coq, il ne pouvait vaincre Soumahoro Kanté. Cette dimension mystique est, rappelle le Pr. Dieng, à la base du récit dans Wangrin.
Cet ouvrage peut être catalogué dans le rayon des épopées parce qu’un homme va à la conquête du monde, de fonctions, de richesses et autres. Wangrin convoque également à bien des égards Leuk le lièvre de par la ruse et l’intelligence qui sont exaltés dans ce roman. Ce n’est simplement pas la force brutale du roi qui est portée au pinacle, mais la perspicacité et l’astuce qui sont des moyens éminemment supérieurs dans la vie de tous les jours. «Et dans la capacité de l’homme à dominer son environnement, Wangrin nous rappelle cela». Mais, poursuit le Pr. Dieng, «l’action se déroule en pleine période coloniale et elle montre comment ce subordonné parvient à tirer son épingle du jeu grâce à sa capacité à utiliser sa connaissance de la société pour sortir des traquenards».
Ce roman, c’est aussi une sorte de théâtralisation de la parole donnée avec des joutes oratoires extraordinaires où la seule puissance qui vaille est celui du verbe. C’est une fête de la parole rappelle le spécialiste. Amadou Hampâté Bâ a été à deux écoles, il ne s’est pas contenté seulement de se promener et de recueillir des témoignages de la part des anciens, renseigne le Pr. Dieng. Il est allé à l’école des traditionnistes, a énormément appris surtout avec cette initiation longue et difficile.
Ceci fait penser à l’ouvrage d’Ousmane Sow Huchard, ancien député et responsable des Verts, qui s’intitule «Kora».
Dans cette oeuvre, il raconte de la naissance à l’accomplissement, l’itinéraire initiatique d’un koriste, comment il devient une sorte de champion de la musique. C’est donc une initiation difficile et longue qu’a suivie l’écrivain et ethnologue malien. Il est allé à l’école de la tradition, a appris beaucoup de choses et est devenu l’héritier de ces générations qui ont commencé à disparaitre. C’est ce qui a fait de lui «un transmetteur extraordinaire de la tradition de cette Afrique profonde grâce à l’écriture moderne européenne», renseigne le Pr. Dieng. Aussi, Amadou Hampâté Bâ a-t-il été le premier à mondialiser l’importance de la tradition à partir d’une tribune des Nations Unies il lance sa fameuse phrase, «En Afrique un vieillard qui meurt est une bibliothèque qui brûle».
Dans ses autres productions, on retrouve, entre autres, «Kaïdara, récit initiatique peul» (1969) qui a pour objectif la quête du savoir; c’est également une charte pour le pastorat comme l’a souligné le Pr. Dieng. «Amkoullel l’enfant peul» (Mémoires I, 1991) et «Oui mon commandant !» (Mémoires II, 1994) seront publiés après sa mort, «L’Empire peul du Macina» (1955, nouvelle édition en 1984).