Bouc émissaire?
Dénoncé par son voisinage pour avoir diffusé des extraits du pamphlet islamophobe «L’Innocence des musulmans» sur sa page Facebook, Alber Saber, un copte de 27 ans, a comparu devant un tribunal du Caire et risque jusqu’à 6 ans de prison. La communauté copte a le sentiment qu’on veut faire de lui un bouc émissaire.
Il est de ceux qui ont cru à la révolution, de ceux qui manifestèrent place Tahrir au printemps 2011 et en payèrent le prix en se faisant tabasser, de ceux qui ont pensé que des élections de juin dernier allaient déboucher sur plus de démocratie et de liberté d’expression en Egypte.
Aujourd’hui Alber Saber, 27 ans, est en prison au Caire dans l’attente de la reprise de son procès le 17 octobre. Il est en détention pour blasphème, insulte à la religion et incitation à la sédition, des chefs d’accusation pour lesquels il risque la peine maximale prévue pour de tels forfaits, soit entre 5 et 6 ans de prison.
Son délit? Avoir posté sur sa page Facebook des extraits de «L’Innocence des musulmans», le film islamophobe à petit budget tourné aux Etats-Unis qui a provoqué l’ire des musulmans à travers le monde à la mi-septembre.
Comme plusieurs millions de ses compatriotes, Alber Saber est copte, cette communauté chrétienne présente dans la région depuis l’aube du christianisme et qui représente entre 6% et 10% de la population égyptienne, le chiffre exact étant tenu secret car cette minorité craint toujours pour sa sécurité dans l’ère post-Moubarak.
Dénoncé par des voisins dont certains l’ont menacé de mort dans la nuit du 13 au 14 septembre derniers, le jeune diplômé en informatique a vu la police faire irruption dans le petit appartement qu’il occupait avec sa mère et ses deux soeurs à Al Marag, un quartier pauvre du Caire. Et c’est sous les cris d’une foule en furie qu’il a été conduit au poste puis frappé, alors que sa mère et ses soeurs devaient fuir le domicile familial. Elles n’y sont pas revenues depuis, par crainte de représailles.
Même s’il nie avoir voulu semer le trouble, Alber Saber se trouve en fâcheuse posture car la police a évidemment saisi son ordinateur et l’accusation a eu tout loisir de réunir contre lui des preuves à charge. Comparu le même jour que lui, mais en appel d’un jugement intervenu une semaine auparavant, Bishoy al-Beheiry, un enseignant copte de la province de Sohag, s’est vu infliger, mercredi 26 septembre, une peine de cinq ans de prison pour des faits similaires par le tribunal.
Le sentiment dans la communauté copte est que les autorités veulent lui faire indirectement payer le fait que l’auteur du film si controversé, Sam Bacile (de son vrai nom Nakoula Basseley Nakoula), est lui-même un copte qui a grandi au Caire avant d’émigrer aux Etats-Unis.
«Alber n’a rien à voir avec le film insultant mais l’affaire a été le moyen de calmer la colère populaire», a déclaré l’avocat du jeune homme. Lui aussi est persuadé qu’Alber sert de bouc émissaire. Ce sentiment d’injustice est renforcé par le fait que Khaled Abdel Allah, l’islamiste radical qui a le premier montré des extraits du film lors de son émission de télévision, n’a jamais été inquiété par la justice.
Lors de sa comparution devant le juge mercredi, Alber Saber a affiché sa volonté de se battre, faisant le «V» de la victoire devant les photographes, comme pour mieux montrer sa détermination au nom de la liberté d’expression. Un comité de soutien s’est également organisé pour défendre sa cause et a ouvert une page Facebook qui vise à réunir le maximum de signatures pour une pétition demandant sa libération.
Compte-tenu de la fermeté dont semble vouloir faire preuve la justice égyptienne, on doute cependant que le jeune contestataire puisse retrouver la liberté de sitôt.