Et avec Areva… on ne rêva plus!
L’exploitation de l’uranium du Niger continue d’alimenter des polémiques entre populations des zones minières, encadrées par la société civile, et la principale société, qu’est la française AREVA. Cette dernière est accusée de piller cette ressource sans reverser une contrepartie équitable.
C’est une bataille silencieuse, mais une bataille quand même. Pour l’exploitation de l’uranium au Niger, les discussions sont très serrées entre Niamey et le groupe nucléaire français Areva. Le président nigérien Mahamadou Issoufou a évoqué le sujet avec son homologue français, François Hollande. Que se sont-ils dit? Top secret, comme tout ce qui touche à l’uranium. Ali Idrissa, qui dirige au Niger, «Publiez ce que vous payez» et le ROTAB, le Réseau des Organisations pour la Transparence et l’Analyse Budgétaire, donne son point de vue sur la situation.
Quand le président Issoufou dit que le Niger veut un partenariat gagnant-gagnant avec le groupe Areva, est-ce que ça veut dire, pour l’instant, que c’est un partenariat gagnant-perdant?
Ali Idrissa: Absolument. C’est un partenariat très déséquilibré, comme indiqué dans le communiqué du gouvernement. Nous, en tant qu’acteurs de la société civile nigérienne, nous l’avions toujours dénoncé.
Pour sa défense, le groupe Areva affirme qu’il verse tous les ans à l’Etat nigérien 100 millions d’euros, en dividendes et en retombées fiscales.
Ali Idrissa: Cent millions d’euros, ça représente quoi, par rapport au budget national de notre pays ? Moins de 5,8 %. L’arachide, le bétail et d’autres produits exportés par le Niger, rapportent plus au Niger que l’uranium. Vous voyez bien, on est très loin du compte pour pouvoir dire qu’on profite largement de ces ressources !
En 2008, sous le régime de Mamadou Tandja, le Niger a arraché à Areva une hausse de 50 % de ses revenus. Est-ce que depuis cette date ses revenus ont baissé à nouveau ou pas?
Ali Idrissa: Les revenus ont baissé. Depuis l’époque de Tandja à aujourd’hui, on est loin du compte. Sous Tandja, on a même fait un rappel par rapport au manque à gagner. C’est-à-dire qu’Areva a même fait des rappels de dividendes et autres taxes reversés au Niger par rapport aux années passées. Ils ont considéré que le Niger a été grugé.
Voulez-vous dire que c’était mieux sous le régime Tandja?
Ali Idrissa: Non. Mais je dis qu’à un moment, Tandja a pu arracher les acquis à Areva.
En 2012, les retombées de l’uranium représentent cent millions d’euros pour le Niger. En 2008 elles représentaient combien?
Ali Idrissa: En 2008, il y avait une situation de dédommagement qu’Areva avait versé au Niger, et qui a ramené les ressources à plus de 150 millions d’euros.
Mais si 2008 était une année de rattrapage, n’était-ce pas exceptionnel?
Ali Idrissa: C’est exceptionnel. Nous ne le nions pas. Mais tout est dans le contrat. Le déséquilibre créé dans le cadre de ce contrat qui fait en sorte que le Niger ne dise rien de ses ressources naturelles. On doit donc revisiter, sinon renégocier ce contrat.
Quel est, justement, le point sur lequel il faut réviser le contrat ? Est-ce que c’est sur le prix de la livre d’uranium ? Est-ce que c’est sur les royalties?
Ali Idrissa: Il faut réviser les royalties. Je vous le rappelle que le Niger n’est pas actionnaire d’Areva. Le Niger est actionnaire de Comiak (Compagnie minière d’Akouta, ndlr) et de Somaïr (Société des mines de l’Aïr, ndlr) et de Imouraren. Pourquoi le Niger ne peut pas être aussi actionnaire d’Areva ?
Est-ce qu’on connaît le pourcentage que touche le Niger en royalties aujourd’hui?
Ali Idrissa: Cela varie selon les années. Mais on n’est pas en mesure de vous le dire. Aujourd’hui, la difficulté est que, même dans le cadre de la publication de ses revenus, on ne désagrège pas la publication.
On ne désagrège pas, c’est-à-dire qu’on ne donne pas le détail des comptes, et du coup il n’y a aucune transparence? C’est ça?
Ali Idrissa: Absolument !
Et pourquoi ce secret depuis quarante ans, entre votre pays et le groupe Areva?
Ali Idrissa: Avant les années 2005, l’uranium n’était même pas considéré comme un minerai pour le Niger. C’était considéré comme secret-défense. Nous devons continuer à nous battre pour la transparence intégrale.
Alors vous demandez donc une augmentation des revenus, mais en même temps, depuis la catastrophe de Fukushima, il y a 18 mois, les cours de l’uranium sont tombés de 70 à 45 dollars la livre. Est-ce que ça ne pose pas un problème?
Ali Idrissa: Non. Nous pensons que le marché actuel de l’uranium n’empêche pas Areva de revaloriser le contrat avec le Niger. Ce sont des prévisions à long terme, des contrats de vente sont sur 10 ans, sur vingt ans. Même avec Fukushima, c’est la même tendance de consommation. Est-ce que le Français moyen a cessé d’allumer son ampoule parce qu’il y a eu Fukushima?
Aujourd’hui, la plus grande mine d’uranium au Niger c’est Arlit. Mais demain ce sera Imouraren, dont Areva sera le principal exploitant. A l’origine, Imouraren devait ouvrir cette année. Tout est reporté à 2014. Est-ce que ce n’est pas la vraie raison des tensions actuelles entre Niamey et le groupe Areva?
Ali Idrissa: Oui. Nous, nous aurions aussi eu de telles informations. Au lieu de 2014, sachez qu’Areva veut exploiter en 2016. Donc, le gouvernement nigérien est en droit aujourd’hui de dénoncer ce contrat avec Areva et de le mettre sur le marché international !
Alors si le Niger dénonce le contrat, il faut qu’il trouve un repreneur pour la mine d’Imouraren. Pensez-vous qu’il y aura d’autres groupes candidats?
Ali Idrissa: Il y en a beaucoup qui attendent à la porte ! Même en 2009, quand Areva a eu à prendre Imouraren, nous savions bien qu’il était en compétition avec plusieurs compagnies.
Mais ça, c’était avant Fukushima
Ali Idrissa: Il y a toujours des centrales qui continuent de tourner, il y a toujours un besoin sur le marché international. Ce n’est pas un problème de pouvoir écouler.
Quand Mahamadou Issoufou a rencontré François Hollande, jeudi dernier à l’Elysée, pensez-vous qu’il lui a demandé de faire pression sur Areva?
Ali Idrissa: C’est peut-être le contraire. Peut-être que c’est Hollande qui a dû essayer de faire pression sur Issoufou, pour lâcher du lest à Areva. Parce que nous, nous avons aussi des informations que le gouvernement nigérien cherche juste des liquidités avec Areva. C’est pour ça qu’il y a toute cette pression.
Vous dites que le gouvernement du Niger demande des liquidités. Pourrait-il demander à Areva des pénalités de retard pour Imouraren?
Ali Idrissa: Oui. Ils sont en droit. Ou Areva respecte ses engagements, c’est-à-dire exploiter en 2012, ou Areva lâche Imouraren, ou Areva verse des pénalités de retard au gouvernement nigérien, qui lui permettront de faire face à ses engagements.
Et si ce bras de fer financier abouti, est-ce qu’on le saura rapidement ou est-ce que tout cela va rester secret?
Ali Idrissa: Si ce bras de fer abouti au profit du Niger et qu’Areva verse la liquidité, vous allez constater que le gouvernement nigérien reculera par rapport à son discours. Et le gouvernement nigérien renoncera à réviser ce contrat.