Scrutin à scruter!
La première phase du vote a été marquée par une très forte abstention, et les chiffres officieux donnent la victoire au «oui» avec 56% des voix. Quels enjeux derrière ce scrutin? Entretien avec Didier Monciaud, chercheur en histoire et spécialiste de l’Égypte contemporaine.
Samedi 22 décembre, une Egypte plus rurale s’est rendue aux urnes. Cela peut-il influencer le résultat? On pourrait dire que oui, dans le sens où dans les provinces les plus rurales, les influences, les interventions peuvent jouer. Mais de toutes les façons, la Haute-Egypte a déjà voté, et il y a eu une très forte abstention malgré la victoire du «oui» – selon les premières estimations officieuses. Par exemple à Assouan, il y a eu 86% d’abstention. A Assiout: 72%.
Peut-on dire que la faible participation, l’absence totale d’engouement de la part des électeurs égyptiens, constitue le premier enseignement du référendum ?
Oui, puisque si les estimations officieuses se confirmaient, il y aurait environ deux tiers d’abstention sur les deux votes. Ce serait énorme, surtout par rapport à la présidentielle de juin dernier. On passerait de 50% d’abstention à deux tiers.
Quel que soit le résultat du vote, le président égyptien Mohamed Morsi n’obtiendra donc pas un plébiscite ?
Pas du tout, au contraire. En plus, si on regarde gouvernorat par gouvernorat, vous savez que Le Caire a voté « non », qu’à Alexandrie – qui était un bastion islamiste -, la majorité est courte en faveur du «oui». Le gouvernorat de Gharbeya a voté «non». Après, quand on regarde quartier par quartier, des quartiers très populaires au Caire comme Dar-Es-Salaam ou Sayyida Zaynab ont voté très majoritairement «non». Si vous ajoutez à cela la forte abstention, ce n’est pas du tout une réussite.
C’est donc un affaiblissement pour le président ?
Oui, dans la mesure où cela montre une hostilité, la montée d’une animosité qu’on ressent bien dans les manifestations. Mais c’est surtout un fort effritement de la popularité des Frères musulmans, qui sont officiellement au pouvoir depuis qu’ils ont gagné les élections législatives puis présidentielle.
Mais l’opposition ne semble-t-elle pas elle-même en train de s’essouffler ? Ce vendredi au Caire, il y avait un appel à manifester, et il n’y avait quasiment personne.
C’est peut-être aussi le problème des manifestations à répétition, qui ne sont pas toujours faciles à maintenir… Mais pour l’opposition, la grande difficulté, c’est que la situation politique actuelle n’est pas un face-à-face entre elle et le gouvernement des Frères musulmans. C’est plutôt une équation à plusieurs paramètres, avec notamment l’ancien régime. Si l’opposition s’associe avec des partis ou des éléments issus de l’ancien régime, cela bouleverse, voire même fragilise sa posture. Donc, l’opposition qui s’est créée autour de personnalités comme Mohamed el-Baradei, le nassérien Hamdin Sabbahi, ou encore Amr Moussa, est confrontée à cela. Déjà, la présence d’Amr Moussa, qui incarne une forme de libéralisme et qui était ministre des Affaires étrangères pendant de longues années sous la présidence de Moubarak, pose un certain nombre de problèmes très criants. Cela complexifie la situation.
La coalition peut-elle survivre à la période d’après le référendum ?
On va voir, parce qu’après, on va se diriger vers des élections législatives. Il y a déjà des gens comme Abdel Moneim Aboul Fotouh, ex-Frères musulmans qui s’était présenté en indépendant et qui était arrivé quatrième (à la présidentielle, NDLR), qui ont refusé de participer à cela pour ne pas, justement, se retrouver associés à des éléments issus de l’ancien régime, ou de l’ancienne équipe on va dire. Une coalition qui rassemble la gauche, des nassériens, des libéraux, peut-elle se maintenir ? Cela me paraît très compliqué en tout cas.
Un autre élément semble très important dans ce scrutin, à savoir la transparence des opérations de vote. Alors qu’une partie des juges reste en grève, les éventuels résultats à venir peuvent-il être crédibles ?
Le problème, c’est que les irrégularités sont visiblement très nombreuses, puisqu’en effet, il n’y a pas de supervision judiciaire, car les juges appellent à faire la grève. Il y a eu un certain nombre de dérapages : des observateurs arrêtés, des intimidations, des vols de bulletins, des fermetures prématurées de bureaux de vote, le remplacement de fonctionnaires par des militants liés au parti des Frères musulmans, etc. Les plaintes ont l’air d’être très nombreuses. Le directeur du centre des droits de l’homme du Caire, qui est un activiste assez connu, a parlé de « référendum à la Moubarak ». Sans aller jusque-là, on peut dire que les fraudes et la propreté du scrutin posent problème.
Cela fait plusieurs mois que le président Morsi et son parti sont au pouvoir. Peut-on déjà établir un premier bilan ?
Je sais pas, il est un peu difficile d’établir un bilan au bout de quelques mois. Disons que la situation a complètement changé depuis novembre, avec la décision présidentielle de concentrer les pouvoirs, puis le passage en force, ou en tout cas accéléré, sur la question de la Constitution. Si on revient quelques mois auparavant, à l’été dernier, il y avait quand même eu un certain nombre de mesures qui poussaient à la mise sur la touche notamment du maréchal Tantaoui, ou la mise en place d’un autre gouvernement, qui allait dans un autre sens. Mais là, la situation a l’air significativement modifiée. La contestation et le mécontentement contre le gouvernement ou les Frères musulmans sont très forts.