Un lapsus de M. Juppé: la Côte d’Ivoire et la métropole?
On a souri de la pauvre ministre Mme Dati dont la langue a fourché du mot « nflation » à … « fellation ». Revenait-elle alors d’une rencontre torride dont elle n’était toujours pas remise, pour commettre pareil lapsus? Nul n’a su ce qu’il en était. Suscitera-t-il le même succès celui plus austère de M. Juppé, ministre de la Défense? Mais, au juste, est-ce bien un lapsus ou s’agit-il d’un mot propre sciemment choisi? Va savoir, vas-y voir!
Le mot « métropole » a-t-il échappé àM. Juppé ou bien l’a-t-il employé sciemment pour désigner le pays que les ressortissants français sont invités à regagner en quittant la Côte d’Ivoire? En fait, Freud, expert en lapsus, dirait que ça ne change rien à l’affaire dans l’un et l’autre cas.
Le contexte où ce mot de « métropole » est employé, est sans ambiguïté.
■1- M. Juppé ne parle pas d’une cité qui est le siège d’un archevêché.
■2- Il n’évoque pas davantage une grande ville, centre administratif, économique et culturel d’une région.
■3- En revanche, par rapport à la Côte d’Ivoire, la France est désignée par le mot «métropole», comme l’État colonisateur qui règne sur des colonies. Le terme appartient bien à la sémantique coloniale.
Le ministre de la Défense français ne pouvait mieux trahir le cadre de référence colonial qui donne forme à sa représentation du monde: la France demeure bien la métropole par rapport à l’ancienne(?) colonie de Côte d’Ivoire.
En voudrait-on confirmation? L’usage du dispositif militaire français sur place que prévoient M. Juppé et le gouvernement français, est conforme à ce schéma de pensée : la protection des ressortissants français si besoin est.
Pour s’en convaincre, il suffit d’inverser les rôles. Imagine-t-on des troupes ivoiriennes sur le sol français et une déclaration du ministre de la défense ivoirien pour annoncer leur mission de protection des Ivoiriens en France, «si le moindre danger pesait sur eux»? Ne dénoncerait-on pas aussitôt une atteinte à la souveraineté de l’État français?
On objectera que la présence de forces militaires françaises en Côte d’Ivoire résulte d’accords bilatéraux. On ne le nie pas. On s’interroge seulement sur l’emploi du terme « métropole » que ces accords ne légitiment pas pour autant. Il semble, en revanche, que cette présence militaire sur le sol ivoirien tende à maintenir dans l’esprit d’un ministre de la Défense français une représentation archaïque de relations entre États héritée de la colonisation.
Une ancienne colonie peut être blessée par la permanence d’une sémantique de la colonisation prétendument révolue. M. Juppé aurait voulu donner corps au complot dont M. Gbagbo accuse la France, qu’il ne pouvait mieux s’y prendre.
P. V.