France-à-fric?
L’Association Survie a annoncé, à travers un communiqué, qu’un an après l’investiture du président de la République François Hollande, et malgré les efforts de la communication élyséenne et de certains médias pour faire passer comme symboles de la fin de la Françafrique des visites supposées sous tension de dictateurs ou encore l’intervention unilatérale de la France au Mali, la politique gouvernementale est à l’opposé de son engagement de «rompre avec la Françafrique».
La Françafrique, mise en lumière par François-Xavier Verschave et l’association Survie dans les années 90, est un ensemble de pratiques qui ont évolué au cours du temps, toujours dans le même objectif criminel d’influence stratégique et de pillage économique des pays africains. L’analyse produite à l’époque avait notamment mis en exergue la continuité de ces pratiques, quelle que soit l’étiquette politique du gouvernement français. La Françafrique perdure à travers des pratiques illégales, mais surtout à travers des mécanismes institutionnels d’ordre diplomatique, économique, militaire, que le nouvel exécutif s’est employé à conforter depuis un an tout en prétendant le contraire.
Avant tout, la présidence de François Hollande marque la réhabilitation de l’interventionnisme français en Afrique et de sa présence militaire. L’opération Serval, préparée en amont et présentée comme la seule option envisageable pour empêcher l’effondrement du Mali, vient relégitimer l’ingérence militaire et politique de la France au Sahel, en réhabilitant au passage le dictateur tchadien et ses soldats, armée supplétive de la France et allié indispensable à l’habillage multilatéral de l’intervention. Alors que depuis quelques années, la tendance était à la réduction des effectifs militaires français en Afrique, pour des raisons budgétaires, la «grande muette» a saisi l’occasion de la guerre au Mali pour se réaffirmer comme un acteur incontournable de la politique africaine de la France , et pour ré-légitimer, y compris auprès du Parlement, sa présence permanente en Afrique.
Avec cette intervention au Mali, la France a obtenu une reconnaissance accrue de son rôle de gendarme de l’Afrique par et pour ses alliés, en particulier les Etats-Unis et l’Union Européenne et, à l’instar des interventions en Libye et en Côte d’Ivoire en 2011, le nouvel exécutif français continue de décrédibiliser l’ONU en instrumentalisant le droit international et en «tenant le crayon» pour les résolutions du Conseil de sécurité destinées à légitimer son ingérence militaire directe. L’absence d’intervention en Centrafrique pour sauver le dictateur Bozizé, ancien protégé de la France, et abondamment commentée comme un signal de rupture avec la Françafrique, ne saurait masquer le jeu de dupes consistant à lâcher un ancien allié, tellement coutumier dans l’histoire françafricaine.
Si la réception du Gabonais Ali Bongo Ondimba dès le 5 juillet 2012 avait suscité la polémique, la pratique s’est depuis « normalisée » avec les visites du Burkinabè Blaise Compaoré, du Tchadien Idriss Déby, du Camerounais Paul Biya, du Congolais Sassou Nguesso… sans oublier le roi du Maroc Mohammed VI, ou encore le président ivoirien Alassane Ouattara, installé au pouvoir en 2011 par l’armée française au terme d’une «élection» aussi impartiale que la justice des vainqueurs qui l’a suivie.
Le pré-carré françafricain n’a en réalité connu aucun véritable remous, en dépit de la déclaration de François Hollande que le 6 mai 2012 soit «une mauvaise nouvelle pour les dictateurs». Ces dictateurs peuvent continuer à réprimer sévèrement leur opposition et les mouvements de société civile sans craindre de condamnation publique, à l’instar des exactions commises ces dernières semaines par Ismail Omar Guelleh, l’allié djiboutien, suite aux protestations contre des élections frauduleuses. Idriss Déby l’a bien compris, en multipliant ces jours-ci les arrestations arbitraires au Tchad, sous l’œil tolérant de l’Elysée qui lui est redevable de son soutien actif dans la guerre au Mali.
Nous avons certes assisté à une dénonciation timide du « musellement de l’opposition » au Togo, mais nous sommes bien loin des protestations diplomatiques qu’on serait en droit d’attendre d’un président se disant soucieux de la démocratie. Pour le gouvernement, les élections en Afrique semblent n’être qu’un simple habillage démocratique, même au Mali, où la diplomatie française dicte le calendrier électoral tout en admettant que les élections ne pourront se dérouler parfaitement, et foulant aux pieds la souveraineté d’un Etat.
La spécificité coloniale de la tutelle monétaire exercée par la France sur une quinzaine de pays d’Afrique n’a pas non plus connu de remise en question: malgré une timide note critique de François Hollande dans son discours de Dakar au sujet du Franc CFA, mais dont il réaffirmait le bien fondé, les autorités françaises ont en novembre célébré avec faste les 40 ans des accords de coopération monétaire avec les pays de la zone Franc. Que ces accords maintiennent de facto un contrôle de Paris sur la politique monétaire de ces pays ne semble pas émouvoir ceux qui célèbrent aujourd’hui la prétendue fin de la Françafrique.
Enfin, concernant les entreprises françaises en Afrique, fer de lance du pillage du continent mais également de la grandeur économique de la France, Laurent Fabius avait donné le ton dès la conférence des ambassadeurs en réaffirmant le principe d’une « diplomatie économique« , toute entière dédiée à la conquête des marchés émergents par les patrons hexagonaux [3]. En Afrique, c’est donc «business as usual», avec le chiffre d’affaire et la balance commerciale comme seuls aiguillons de l’action politique.
Les entreprises, qui se sont retrouvées bien représentées aux Assises du développement voulues par Pascal Canfin, continuent d’être les grandes bénéficiaires de l’aide publique au développement française. Exemple symptomatique, les Contrats Désendettement Développement (C2D) instaurés par la droite ont été tout de suite repris par la gauche : sous couvert d’annulation de dette (que l’Etat bénéficiaire rembourse pourtant au final), des montants colossaux sont versés pour financer des projets cornaqués par l’Agence Française de Développement (AFD) et pour lesquels les entreprises françaises décrochent régulièrement le pactole. Un beau cadeau pour les firmes, parfois présentes depuis des années dans des pays où l’on cherche en vain leur impact sur le «développement», et dont on prétend qu’elles vont cette fois-ci contribuer à servir l’intérêt collectif.
La seule bonne nouvelle concernant le contrôle de ces pillards du continent, n’est pas liée à une réforme de la politique africaine de la France : la nouvelle loi bancaire en France et les discussions en cours à l’échelle européenne sur la transparence financière dans l’industrie extractive et forestière, imposent de publier certaines données financières afin de faciliter le contrôle des relations entre multinationales et gouvernements. Elles sont donc à saluer comme des avancées… qui restent toutefois bien timides pour un candidat qui affirmait être l’ennemi de la finance.
L’engagement du candidat François Hollande était : « Je romprai avec la « Françafrique », en proposant une relation fondée sur l’égalité, la confiance et la solidarité ». La suppression annoncée de la cellule africaine de l’Elysée (que le gouvernement précédent avait également revendiquée) et l’apparente froideur protocolaire vis à vis de certains despotes, dont se targue le nouvel exécutif, ne sauraient suffire à concrétiser un tel engagement. Ce dont ont besoin la démocratie française et les peuples africains qui subissent les conséquences directes de notre politique étrangère, c’est une réforme radicale des institutions et des pratiques autour desquelles est construite cette politique.