A moi ta terre et toi par terre!
Néocolonialisme. Mainmise. Accaparement. Hold-up. Recolonisation. De nombreux termes ont été utilisés ces dernières années pour décrire un phénomène nouveau. Il s’agit de l’acquisition ou de la location de grandes superficies partout dans le monde, particulièrement en Afrique.
Ce phénomène, qui existe depuis des décades en Afrique, s’est amplifié considérablement pendant la dernière décennie, devenant ainsi une opération courante, mais qui ne cesse d’être au centre d’une vive polémique.
Bien que certains économistes africains voient en ce phénomène une opportunité pour les pays africains de connaître une modernisation agricole, certains d’autres parlent d’une exploitation à outrance dans une sorte de néocolonialisme. Une récente étude de l’ONG «International Land Coalition» en dresse un constat préoccupant.
En fait, , cette étude publiée sur le portail du magazine du développement durable «Terra Eco» dégage qu’à l’échelle mondiale, «la carte des terres achetées par des investisseurs étrangers depuis 2000 montre que le business de la parcelle frappe avant tout l’Afrique, Plus d’un millier de contrats ont été déjà répertoriés, sur une surface d’environ 83 millions d’hectares. Soit un tiers de l’ensemble des terres achetées dans le monde depuis 2000. La Chine et l’Inde ont détrôné les USA et le Royaume-Uni en achetant plus du double des terres, et affichent clairement leur appétit du marché africain», mettant ainsi en exergue la course aux terres africaine qui s’est accélérée ces dernières années.
Une course qui oppose d’une part, des pays préoccupés par leur insécurité alimentaire due à l’explosion démographique (Inde, Chine et Corée du Sud), en compagnie d’autres, dont la production agricole est insuffisante voire quasi nulle (Qatar, Koweït).
D’autre part, ce sont les multinationales de l’agroalimentaire, qui misent aussi sur des terres pour assurer l’approvisionnement en matières premières agricoles, et aussi les multinationales productrices de biocarburants. Ce qui fait dire, d’ailleurs, à certains spécialistes de la question que l’Afrique est devenue le Moyen-Orient des biocarburants.
En réalité, 21% des achats de terres en Afrique, en 2009, ont été réalisés dans le but de produire des biocarburants. La majorité des cas les terres achetées servent peu ou pas à l’agriculture vivrière.
Une autre étude de l’ONG internationale Oxfam montre que «67 millions d’hectares ont changé de mains rien qu’en Afrique, ce qui représente 17 fois la superficie de la Suisse», insistant sur le fait que ces transactions se font au détriment des habitants sur place. Ce serait aussi là que les terres seraient vendues et louées le moins cher.
Au Sud-Soudan, où un investisseur norvégien a obtenu un bail de 99 ans pour 179.000 hectares pour seulement 12.500 dollars (9.900 euros) par an. Soit un coût annuel de 0,07 dollar (0,05 euro) par hectare et par an… En Ethiopie, un pays dont 5 millions d’habitants ont eu besoin de l’aide alimentaire internationale pour survivre en 2011, la location d’un hectare de terres agricoles coûte en moyenne 4,30 euros par an.
L’étude de la «Coalition internationale pour l’accès à la terre» affirme, par ailleurs, que «la moitié des parcelles vendues étaient exploitées avant la signature du contrat, assurent les auteurs du rapport. Parfois, les anciens occupants sont employés par les nouveaux propriétaires. Parfois, les populations sont déplacées. En Ouganda, depuis 2004, plus de 22.000 personnes avaient été déplacées pour les besoins de l’installation d’exploitations forestières aux mains d’investisseurs étrangers».
Cette étude tire également, la sonnette d’alarme en ce qui concerne la préservation de l’environnement en montrant que les nouvelles activités concurrencent les activités déjà existantes, notamment l’accès à l’eau. Elle affirme aussi que « le plus souvent ces transactions sont effectuées sans consultation, voire au détriment des habitants sur place», confirmant plusieurs tendances inquiétantes sur ce phénomène en marche. Ces contrats sont conclus dans les pays les moins avancés et en manque de nourriture, principalement en Afrique. A l’échelle de ce continent, ce serait près de 5% des terres agricoles qui auraient été accaparées.
En Afrique, dont l’agriculture emploie la majeure partie de la population active et constitue la principale activité créatrice de richesse, il s’avère difficile de se familiariser avec ce phénomène de l’accaparement des terres. Surtout lorsqu’on se rappelle que des centaines de milliers de personnes sont mortes, lors des épisodes de famine qui ont frappé la Corne de l’Afrique lors des étés 2010 et 2011.