Musique d’A…fric?
Onomatopées et borborygmes de plus en plus obscènes: la musique africaine change. Et l’amplification du phénomène dit « Atalaku » n’arrange rien.
Depuis toujours, la musique africaine, celle produite par les fils du continent, très ancienne, se présentait comme une musique de paroles, avec des compositions inspirées des faits de société, véhiculant des messages cohérents.
« C’était une musique dont les textes bien pensés ont traversé plusieurs générations et bercé le globe entier. Mais actuellement, tout le monde court derrière la maille« , rapporte Vincent Kenis, l’arrangeur belge de l’orchestre planétaire Staff Benda Bilili, composé des paraplégiques, lauréat 2009 du Womex – le plus grand rassemblement destiné aux professionnels et artistes oeuvrant dans les musiques du monde.
Au Congo-Kinshasa, on parle volontiers de l’ancienne école de Wendo Kolossoy, le père de la rumba moderne, de Tabu Ley, de Mi Amor… Cette musique, saine et porteuse d’idées profondes, a ébloui les mélomanes des grandes salles de spectacle d’Afrique, voire d’Europe, dans les années 70. Dans les années 80, de jeunes talents sont arrivés, désireux d’offrir autre chose que la « musique de vieux ».
Aujourd’hui, la musique moderne africaine, trouvant ses racines dans ces années-là, est en train de basculer. Les messages qu’elle véhicule deviennent de plus en plus abjects. Au lieu de combattre les antivaleurs comme le faisaient jadis les grands comme les Congolais Lwambo Makiadi, aka « Franco de mi amor » et Joseph Kabasele dit « Kalé Jeff », le Nigérian Fela Anikulapo-Kuti, ou encore le journaliste-musicien camerounais Francis Bebey, toutes les tendances musicales africaines de maintenant, à prédominance saccadée, notamment le ndombolo, le coupé décalé, le zouglou et tant d’autres sont contaminées par un virus notoire. Ce virus s’appelle « Atalaku ».
Que signifie « Atalaku »? L’artiste Damien Aziwa, s’explique : « Il s’agit d’un mot tiré de la langue Kikongo parlée par l’ethnie Kongo qui peuple la province du Bas-Congo en RDC, mais que l’on retrouve également au Congo-Brazzaville, en Angola et au Gabon« . « Atalaku » signifie tout simplement « regarde ici », conclut ce musicien de France, qui se prépare à sortir un disque. Et dans la musique, un atalaku est quelqu’un qui vante les gens, surtout des politiciens à la recherche de succès.
« Un album sur le marché entièrement « à paroles moralisatrices » est voué à l’échec total« , relate un disc jockey bruxellois d’origine africaine, qui affirme recevoir de l’argent de politiciens africains en quête de succès, venus en mission officielle dans la capitale de l’Europe.
Cette nouvelle génération veut à tout prix faire danser la planète au rythme fort, sûrement sollicitée par les exigences d’un public beaucoup plus jeune, activiste dans la musique d’ambiance et dans le trémoussement du postérieur.
Donc, offrir des chansons pleines d’onomatopées, de borborygmes de plus en plus obscènes et de danses qui n’ont absolument plus rien à voir avec une bonne et douce musique endormante et éducative. Dès lors, dans bon nombre de pays d’Afrique de l’ouest et de l’Afrique centrale, la musique ne se conçoit plus sans un animateur ou un atalaku. Il est devenu inimaginable de faire cette musique sans un atalaku, entendez, sans vanter quelqu’un, ou faire son éloge, comme le font les griots dans la vieille tradition africaine.
Le phénomène « Atalaku » est devenu pratiquement monnaie courante dans cette région. Un vrai cache-misère. « Ce phénomène s’est finalement amplifié pour dépasser le cadre de la simple chanson de divertissement et d’enseignement pour devenir une sorte de caisse de résonance à fort caractère pécuniaire faisant la fortune des chefs des artistes musiciens« , s’indigne un amoureux de la musique africaine, installé dans un des arrondissements de Paris.
Les artistes musiciens de Brazzaville et de Kinshasa, pour la plupart camerounais, gabonais et ivoiriens, s’emploient à citer, dans leurs chansons, ô comble du paradoxe, le nom des élites qui pillent les caisses de l’Etat à des fins bassement mercantiles.
A l’occasion des shows dans les boîtes de nuit ou autres lieux de spectacle sur le continent africain, les discs jockeys et les animateurs font également des « atalakus » à certaines personnes qui, flattées par le plaisir d’entendre leurs noms cités, les gratifient de fortes sommes d’argent en leur collant des billets de banque sur le front.
« Mieux vaut s’adresser à un atalaku pour faire de la pub, que de passer sur les ondes radio ou télé pour parler de sa personne« , ricane un disquaire de Matongé, à Bruxelles.