Sauver Bozizé?
Le chef de l’Etat centrafricain, François Bozizé, est désormais, avec ses homologues burkinabè et ivoirien, l’un des présidents africains qui cumulent le maroquin de la Défense nationale avec la fonction de premier magistrat de leur pays.
Depuis le 2 janvier dernier, le n°1 centrafricain a limogé son fils, Jean-Francis Bozizé, de son poste de ministre délégué à la Défense et revêtu ses habits de général d’armée en reprenant les choses en main. Rébellion de la Séléka oblige, François Bozizé a été obligé de faire ce ménage et de monter ainsi en première ligne devant la Blitzkrieg des croquants en armes qui ont conquis, avec une facilité déconcertante, des localités de la Centrafrique. N’eût été le coup de semonce de la Force multinationale d’Afrique centrale (FOMAC), la capitale Bangui serait tombée aujourd’hui comme un fruit mûr. Et Bozizé n’aurait pas eu le temps de limoger qui que ce soit comme il l’a lui-même reconnu dans son discours de fin d’année à la nation dans lequel il a remonté les bretelles des Forces armées centrafricaines (FACA).
Si Bozizé est toujours dans son fauteuil, il doit une fière chandelle à Idriss Déby Itno du Tchad qui a dépêché des troupes et, d’une manière générale, à la Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale (CEEAC). Non seulement l’organisation sous-régionale a réussi à stopper la progression des rebelles sur le terrain à travers la FOMAC, mais elle a pu aussi convaincre la Séléka de s’asseoir autour d’une table de discussion avec François Bozizé.
La toute première prise de contact dans ce cadre est prévue, en principe, pour le 10 janvier prochain à Libreville au Gabon. On ne peut donc pas dire que la CEEAC n’a pas joué son rôle. Elle a même fait ce que l’on était en droit d’attendre d’elle. Toutefois, on ne peut s’empêcher de se poser des questions sur certains des actes qu’elle pose dans la résolution de cette crise. Le premier des actes est le coup de semonce donné aux rebelles en faisant de la ville de Damara, le dernier verrou avant Bangui, une ligne rouge à ne pas franchir. Certes, l’interdiction concerne à la fois les rebelles ainsi que les FACA, mais beaucoup plus les premiers à qui les premiers responsables de la FOMAC font clairement savoir que le franchissement de cette ligne Maginot serait synonyme de guerre déclarée à tous les pays de la CEEAC. A l’évidence, l’organisation sous-régionale a un parti pris pour François Bozizé, si fait que l’interposition dont se prévaut sa force armée est, en fait, une carapace offerte à l’ancien rebelle devenu aujourd’hui chef de l’Etat. C’est à se demander à quel jeu joue la CEEAC : protège-t-elle le pouvoir de Bozizé ou veut-elle aider la République centrafricaine à sortir définitivement du cercle vicieux des crises et des rébellions ?
On comprend l’embarras des chefs d’Etat de la région face à la tentative de renversement de l’un des leurs arrivé au pouvoir par des voies contestables et qui s’y maintient avec des méthodes peu recommandables. Cependant, l’organisation régionale doit éviter de voler au secours du seul Bozizé qui, de par sa gouvernance, son musellement de l’opposition, a volontairement fait le lit de l’actuelle rébellion. S’interposer et faire de la médiation dans ces conditions, sans le lui faire savoir, c’est lui donner un quitus et l’encourager à persévérer dans son autocratie et son déni de la démocratie. Et, plus grave, on fait un mauvais usage de la solidarité en sauvant la mise à des chefs d’Etat qui se prévalent de leur légitimité, sujette à caution la plupart du temps, pour malmener leur peuple. C’est oublier que l’on n’est pas élu pour faire souffrir son peuple mais, au contraire, pour oeuvrer à son bien-être.
En somme, la CEEAC doit aussi s’imposer une ligne rouge en évitant de prendre fait et cause aveuglement pour Bozizé. C’est la condition pour une solution définitive et durable à cette énième rébellion dans l’ancien Oubangui-Chari.