Retour sans détour?
Il y a du Chateaubriand et du Aimé Césaire dans le nouveau récit d’Alain Mabanckou consacré à Pointe-Noire, la ville d’enfance du romancier congolais qui, mêlant romantisme nostalgique et démarche volontariste du sujet postcolonial à la recherche de son passé, évoque les lumières et les ombres de cette cité qui fut son «paradis d’autrefois».
Le romancier Alain Mabanckou revient en librairie avec un nouvel opus intitulé «Lumières de Pointe-Noire». A mi-chemin entre fiction et autobiographie, ce livre raconte en 25 saynètes douces-amères le retour du romancier à Pointe-Noire, la ville de son enfance et d’adolescence, après vingt-trois ans d’absence.
Natif du sud du Congo-Brazzaville, l’auteur de «Verre cassé» et de «Mémoires de Porc-épic» a grandi dans la ville portuaire de Pointe-Noire. En 1989, à 23 ans, une bourse du gouvernement français en poche, il a quitté le Congo pour venir faire des études supérieures en France.
Depuis, il n’est jamais retourné à Pointe-Noire, même pas en 1995, lorsque ses oncles lui ont annoncé le décès brutal de sa mère Pauline Kéngué. Celle-ci avait beaucoup compté pour le jeune Alain et sa disparition sera vécue par le fils comme une dévastation.
Dix ans plus tard disparaissait aussi Roger, le père adoptif de Mabanckou. Enfant unique, le romancier qui partage aujourd’hui sa vie entre la France (où il écrit et publie) et les Etats-Unis (où il enseigne la littérature francophone), a longtemps cru qu’il ne reverrait plus la ville de son enfance. Et puis, soudain, l’été dernier, est arrivée l’invitation du Centre culturel français de Pointe-Noire, proposant à l’enfant du pays devenu célèbre de venir faire des conférences dans la cité ponténégrine. L’écrivain a sauté sur l’occasion, mais non sans quelques appréhensions.
Le retour au pays natal est, on le sait, une expérience compliquée, semée d’embûches et de déceptions. «Lumières de Pointe-Noire» est née de cette expérience à la fois douloureuse et libératrice.
Pointe-Noire, c’est aussi Mabanckou. Les lésions de la ville que l’écrivain découvre au hasard de ses pérégrinations à travers les rues et les quartiers qu’il a si bien connus autrefois sont aussi d’une certaine façon les siennes. Elles renvoient à ses propres craintes et échecs. Tout comme l’insouciance de ses jeunes neveux et nièces qui l’assaillent de demandes de cadeaux avant d’aller «traquer les coléoptères aux mille couleurs», lui rappelle les petits bonheurs de sa propre enfance.
«J’ai mis du temps à comprendre qu’ils étaient tout aussi heureux que je l’étais lorsque j’avais leur âge et que le bonheur était dans le plat qui fumait dans la cuisine, dans l’herbe qui poussait, dans le pépiement d’un couple d’oiseaux amoureux», écrit Mabanckou.
La cité ponténégrine dont Alain Mabanckou s’était éloigné en partant pour la France reste aussi étroitement liée aux grandes tragédies de sa vie. La disparition de la mère en est sans doute la principale, une tragédie à la fois dévastatrice et fondatrice. Le livre s’ouvre d’ailleurs sur l’évocation de la mère analphabète, superstitieuse, mais combien essentielle.
La grâce de cette femme fragile hante tout le livre. L’auteur évoque la beauté de ses yeux (« De ma mère, j’ai le souvenir immarcescible des yeux marron clair dont il me fallait sonder la profondeur pour discerner ses soucis qu’elle me dissimulait »), son sens de dignité, ses colères. Il se rend à la cabane (« le château de ma mère ») qu’il avait partagée avec elle, menacée aujourd’hui de disparition.
Les pages les plus émouvantes de ce livre sont celles où l’écrivain se remémore son dernier tête-à-tête avec sa mère, dans un bar sombre de Brazzaville où, il y a 25 ans, elle était venue dire adieu à son fils en partance pour la France.
Avant de le quitter, elle lui a remis toute la recette du mois de son commerce, son regard assombri par le souvenir d’une prophétie ancienne selon laquelle son fils partirait très loin d’elle et qu’elle mourrait seule dans une cabane comme quelqu’un qui n’a pas de famille. «C’était la dernière fois que je voyais ma mère…»
Il y a, à la fois, du Chateaubriand et du Aimé Césaire dans cette prose lyrique et grave d’Alain Mabanckou. Il y a quelque chose de Combourg dans le «château de sa mère» dont la plume nostalgique du romancier congolais explore les coins et les recoins à la recherche du mystère des débuts.
Mais, par sa configuration dialectique du rejet et d’assomption des origines, ce récit de voyage au coeur des ténèbres de l’histoire (personnelle et collective) rappelle aussi la trame des itinéraires postcoloniaux dont le Martiniquais Aimé Césaire fut l’un des premiers à retracer les étapes essentielles dans son emblématique «Cahier d’un retour au pays natal».
Crépusculaire et tout en retenue, «Lumières de Pointe-Noire» donne à voir un nouvel aspect de l’écriture d’Alain Mabanckou dont le public ne connaissait jusqu’ici que le goût rabelaisien pour la faconde et la gouaillerie. Un tournant?