L’Europe a perdu sa pitié, les Italiens ne se souviennent plus d’être fils d’Énée? Mais quand on vit en présence de la mort, immergé dans la tempête, il reste l’essence de l’homme, sa fragilité, et ressort avec une clarté douloureuse de « Winter Journey », la première mondiale au « Teatro Massimo » de Palerme, qui co-produit le spectacle avec le « San Carlo » de Naples.
Les chanteurs ne sont pas des ténors ou des sopranos, mais le griot sénégalais Badara Seck et la diva malienne Rokia Traoré, qui dans leurs belles voix, parlent et chantent dans leur langue nationale. Mouhamadou Sazll est l’enfant, Elle van Knoll, récitant la voix, est très intense, le politicien sans profondeur est Jonathan Moore.
« Winter journey » est un voyage d’hiver, l’histoire d’un migrant qui a laissé sa famille en Afrique, sa femme en territoire de guerre et son enfant caché par des parents.
Mais l’hiver, la neige qui tombe lentement sur l’avant-scène, est la bonne métaphore de la neige qui est tombée dans le cœur des hommes, ceux qui gouvernent et qui ont la plus grande attention à l’argent, aux tartines, aux sacs. Juste une note: le politicien qui harangue les foules, se fait soi-même, porte une cravate verte. Plus clair que ça. Mais la référence trop évidente au leader qui harcèle les foules et appelle à la fermeture des ports et des routes pour les libérer des étrangers est peut-être la partie la moins significative d’un spectacle qui traite du drame des migrants avec des accents poétiques et touchants. Ce qui risque de disparaître à jamais, c’est la mémoire de ce qu’a été l’Europe.
Quand le rideau se lève sur la mélodie répétée, pendant que les cordes agissent comme une basse continue, les vagues hautes et menaçantes frappent le public, de l’écran géant vous êtes submergés par l’angoisse, les derniers moments de la vie de ceux qui sont tombés dans la mer qui devient alors rouge sang. Et quand on s’accroche à un morceau de bois pour rester en vie, c’est la musique qui presse, devient répétitive, comme des pensées sous l’eau.
Mais dans « Winter Journey », il n’y a pas de chronique, ce n’est pas une question d’actualité, mais une prière obsessionnelle qui vient des cellules harmoniques qui se succèdent, résultat de l’émotion du musicien Ludovico Einaudi, et du texte léger et poétique de Colm Toibin, l’auteur irlandais qui connaît bien le risque de mort et de misère et piété. Le spectacle est essentiel et élégant, sobre et courageux, grâce à l’habileté du metteur en scène Roberto Andò, entouré d’excellents collaborateurs tels que Luca Scarzella (vidéo), Daniela Cernigliaro (costumes), Gianni Carluccio (Scène) et Hubert Westkemper (son). C’est le premier opéra pour Einaudi et Toibin: un succès, avec plus de 10 minutes d’applaudissements et un public debout.