Révolution en dévolution?
Au Burkina Faso, les soldats du Régiment de Sécurité Présidentielle (RSP) sont opposés aux nouvelles nominations au sein de leur unité. Ils réclament la démission du Premier ministre Isaac Zida. D’intenses négociations sont en cours en vue d’un retour à la normale.
Le scénario est digne d’une république bananière : un chef de gouvernement en partance pour l’hebdomadaire Conseil des ministres et qui, en cours de route, est informé des velléités de manifestations du Régiment de la Sécurité Présidentielle (RSP) contre sa personne et qui trouve refuge chez l’Empereur des Mossé pour certainement sauver sa peau, entraînant ainsi le report dudit Conseil.
Ce scénario, à propos duquel les Burkinabè doivent exprimer leur holà, s’est produit le mercredi 4 février dernier, et les acteurs étaient d’un côté le Premier ministre, Yacouba Isaac Zida, et de l’autre, ses anciens camarades du RSP. Disons simplement ses camarades, puisque nonobstant le fait qu’il est l’actuel Premier ministre du gouvernement de la transition, les éléments du RSP le considèrent toujours comme un des leurs. Voici qui est clair. Isaac Zida n’est pas Premier ministre du fait de Michel Kafando, mais de celui du redoutable RSP.
Ainsi donc, Blaise Compaoré est parti, mais son système, dont un des symboles les plus forts, le RSP, est toujours en place. L’on comprend mieux maintenant pourquoi les dossiers sales de la République sont restés intacts. L’on comprend aussi pourquoi bien des Burkinabè étaient réservés, lorsque Michel Kafando avait jeté son dévolu sur le n°2 de l’unité d’élite militaire, chargée de la sécurité de Blaise Compaoré, à savoir Isaac Zida, pour diriger à ses côtés l’exécutif de la transition.
De ce point de vue, le mouvement d’humeur du RSP du 4 février dernier, le deuxième du genre depuis la mise en place de la transition, n’est pas étonnant. Il vient illustrer le fait que le Burkina est l’otage du RSP. Et cette triste réalité ne date pas d’hier. Elle remonte, ne l’oublions pas, à 1983, année à laquelle les responsables militaires de la Révolution avaient confié leur sécurité à des éléments venus du CNEC (Centre National d’Entraînement Commando) de Pô. Ce dispositif sécuritaire s’est par la suite transformé pour devenir aujourd’hui le RSP dont le véritable patron est le Général Gilbert Diendéré.
Sous Blaise Compaoré, cette unité s’est illustrée, par moments, par des dérapages graves dont bien des Burkinabè ont été victimes. De manière générale, le RSP n’a pas bonne presse aux yeux de l’opinion nationale. Et ce sentiment pourrait être renforcé par les derniers évènements.
L’on doit faire en sorte qu’il s’intègre de manière harmonieuse dans la Grande muette. C’est pourquoi il est urgent qu’une solution appropriée, durable, disons structurelle, soit trouvée à la problématique du RSP, si l’on ne veut pas que le Burkina en soit l’éternel otage. Cette solution ne doit donc pas être bâclée et conjoncturelle, pour ne pas donner l’impression de vouloir soigner une plaie gangrenée avec seulement du mercurochrome. En effet, même si Michel Kafando venait à accéder à la requête du RSP, en se séparant de son Premier ministre, Isaac Zida, il ne serait pas pour autant à l’abri d’une éventuelle sortie du RSP contre les institutions de la transition, puisqu’il en a l’habitude. Même Blaise Compaoré, son géniteur, a, plus d’une fois, subi les accès de colère de cette unité d’élite.
Mais l’on doit éviter de jeter le bébé avec l’eau du bain, dans la recherche d’une solution définitive au problème du RSP. Car, au sein de cette unité, il existe des compétences qui peuvent être mises au service de la patrie. Blaise Compaoré en avait fait un instrument personnel à son service exclusif et à celui de son clan. Le Burkina post-insurrection ne peut pas s’accommoder d’un tel instrument, dans son format actuel, car ce serait une incongruité qui plomberait tout effort allant dans le sens de tirer la démocratie vers le haut. Aujourd’hui, le RSP est le maître absolu des lieux, peut-on avoir envie de dire. L’on doit faire en sorte qu’il s’intègre de manière harmonieuse dans la Grande muette. Et ce n’est pas le fait de lui imposer la même tenue que celle, du reste, de l’armée, qui peut résoudre le problème. Le changement d’emballage ne peut pas modifier le contenu du RSP.
Le Burkina est malade du RSP, comme la Guinée Bissau a longtemps été malade de son armée. Et ce mal est devenu chronique. Si le statu quo devait être observé à son sujet, la formule selon laquelle «plus rien ne sera comme avant» devrait être transformé en «tout sera comme avant voire tout sera pire qu’avant». Cette inquiétude, Laurent Bado l’avait exprimée dans nos colonnes où il avait laissé entendre que le pire n’était pas derrière nous, mais devant, avec l’avènement de la transition, consécutif à la chute de Blaise Compaoré.
Cela dit, au-delà de la problématique du RSP, se pose une autre problématique et pas des moindres. C’est celle de la place des hommes en treillis dans l’arène politique. Les sociétés véritablement démocratiques ont tranché la question. L’armée est une institution placée sous l’autorité du président de la République, en charge de défendre l’intégrité territoriale d’un pays. En Afrique en général, et dans les républiques bananières en particulier, cette définition républicaine de l’armée est encore au stade du virtuel. Sera-t-elle un jour une réalité? Il faut l’espérer, car il y va de l’intérêt de la démocratie, la vraie.