Pouvoir quitter le pouvoir?
C’était le 6 novembre 1982 que Paul Biya, alors âgé de 49 ans, arrive au pouvoir au Cameroun, à la faveur de la démission surprise du président Amadou Ahidjo. Jusque-là Premier ministre, cet homme discret et méconnu de ses concitoyens est désigné par la Constitution pour achever le mandat de son prédécesseur qui tient le pays d’une main de fer depuis l’Indépendance.
L’arrivée de Paul Biya en 1982 à la tête de l’Etat camerounais déclenche une vague d’espoir et d’ouverture sans précédent. Le nouveau président se présente comme «l’homme du Renouveau» et décrète la «rigueur et la moralisation» pour mettre fin au clientélisme qui a entaché les dernières années du précédent régime. L’enthousiasme est général mais la période de grâce de courte durée.
Le 6 avril 1984 marque en effet un tournant dans la présidence de Paul Biya. Il essuie une sanglante tentative de coup d’Etat imputée à des fidèles de son prédécesseur, Amadou Ahidjo. Echaudé, le président se retranche dans un système sécuritaire dont il ne sortira plus.
Au début des années 90, sa présidence vacille à nouveau. Paul Biya fait face à une violente vague de contestation. Les «années de braise» sont marquées par le phénomène des «villes mortes» qui verront finalement l’émergence du multipartisme. L’espoir de changement des manifestants est cependant vite déçu: au terme des élections contestées de 1992, la victoire de Paul Biya est prononcée contre son rival de l’époque, John Fru Ndi, leader anglophone du SDF (Social Democratic Front, principale formation d’opposition).
Le scrutin entaché de fraudes est considéré par l’opposition et plusieurs observateurs comme une victoire volée au chairman mais celui-ci se retire finalement de la course, après 2 mois de vives tensions et de violences. Les réélections successives de Paul Biya jusqu’au récent scrutin de 2011 ont toutes été marquées par des accusations de fraudes.
Présenté par ses thuriféraires comme l’Homme de la paix, Paul Biya se pose inlassablement comme garant de l’unité nationale, tandis que la menace de chaos et d’ingérence extérieure est régulièrement brandie par ses fidèles. Le message semble aujourd’hui intégré par la plupart des Camerounais qui associent le président à la paix dont jouit le pays, une mosaïque de plus de 250 ethnies.
Economiquement, Paul Biya promet des grandes réalisations pour son septennat en cours et multiplie les annonces de grands travaux à l’adresse d’une population qui dénonce des conditions de vie difficiles dans l’un des Etats les plus corrompus au monde. A longueur de discours, il promet aussi de lutter contre la gabegie qui gangrène l’Etat mais l’opération anti-corruption menée depuis 2006 peine à convaincre, régulièrement taxée d’instrument d’épuration politique.
Les adversaires du président lui opposent son immobilisme et la confiscation du pouvoir par une gérontocratie. Ils raillent les « Grandes réalisations » du président, qui font suite aux «Grandes ambitions» du précédent mandat quand près de 40% de la population vit encore sous le seuil de pauvreté.
Trente ans après le «Renouveau», les Camerounais apparaissent relativement désintéressés par la politique de leur pays, largement convaincus qu’aucune alternance politique n’est possible. L’opposition, après l’épisode manqué de 1992, apparaît de son côté affaiblie et divisée, sans véritable projet politique.
Depuis 2008 et la réforme constitutionnelle qui a supprimé la limitation du nombre de mandats présidentiels dans un contexte social très tendu (les « émeutes de la faim » ont fait 40 morts selon un bilan officiel, 139 selon des ONG), la question de la succession de Paul Biya fait cependant régulièrement irruption dans l’actualité.
Le président qui fêtera en février 2013 ses 80 ans est réputé pour ses «courts séjours privés à l’étranger» et ne fait plus qu’une demi-douzaine d’apparitions publiques par an. De quoi alimenter les scénarii sur l’après-Biya que les Camerounais évoquent fréquemment, non sans appréhension.