Paix à son âme!
La disparition brutale du Zimbabwéen Chenjerai Hove a pris de court le monde littéraire de Harare. Exilé en Europe depuis 14 ans, l’homme s’était fait connaître dans les années 1980 en publiant ses premiers recueils de poèmes et son premier roman Bones, internationalement acclamé.
Poète, romancier, nouvelliste et homme de théâtre, Hove a marqué la littérature anglophone par sa voix à la fois empathique et subversive. Ses romans ont été traduits en français, aux éditions Actes Sud. Chenjerai Hove, l’un des écrivains les plus connus du Zimbabwe, est décédé dimanche 11 juillet des suites de complications rénales. Il est mort en exil au Norvège où il résidait, après avoir séjourné brièvement à Paris où il avait été accueilli en 2001 par le parlement international des écrivains. Critique inlassable du gouvernement autoritaire de Robert Mugabe, Hove avait été contraint de quitter le Zimbabwe pour pouvoir écrire librement, mais son pays ainsi que le désespoir de son peuple n’ont jamais cessé de le hanter. Ils occupent une place centrale dans sa production littéraire.
Douleurs de l’exil
L’exil fut une expérience douloureuse pour cet écrivain sensible qui puisait sa nourriture spirituelle dans les mythologies de son pays, en particulier dans les riches traditions de sa communauté, les Shona. Hove a souvent raconté comment pendant les longs hivers norvégiens, il languissait de ne plus entendre les chants des oiseaux de chez lui, «ni les vents, ni le bruit des fleuves à l’écoute desquels j’avais appris à connaître le monde». La personne qui lui manquait le plus, c’était sans doute sa mère qu’il n’avait pas revue depuis son départ du pays. Leur séparation fut déchirante, même si ni l’un ni l’autre n’avait pleuré lors de leurs adieux. Elle était venue à l’aéroport de Harare pour le voir partir, lui avait donné l’accolade, en lui chuchotant à l’oreille qu’elle attendrait son retour. Le fils, quant à lui, avait juré de ne pas mourir à l’étranger. Aucun des deux n’a pu tenir sa promesse!
Hove a écrit qu’il n’avait jamais imaginé qu’il serait un jour obligé de quitter son pays. «A quel moment notre pays bien-aimé est devenu une terre cruelle, expulsant des millions de citoyens réduits à chercher liberté et dignité dans des pays étrangers?» Une question qui a constamment taraudé l’écrivain pendant ses longues années d’exil. Cette question est aussi au cœur de l’œuvre littéraire du Zimbabwéen dont l’essentiel avait été écrit et publié avant le départ à l’étranger.
Les lendemains qui déchantent
Né en 1956 dans ce qui était encore la colonie anglaise de la Rhodésie du Sud, qui deviendra indépendante 24 ans plus tard, sous le nom du Zimbabwe, Chenjerai Hove est entré en littérature par les portes de la poésie. Ses premiers poèmes, il les a écrits dans sa langue maternelle, le shona, avant de passer à l’anglais. Il est l’auteur de 4 volumes de poésies, « Up in arms » (1982), « Red Hills of Home » (1985), « Rainbows in the Dust » (1998) et « Blind Moon » (2003), qui témoignent de l’évolution de sa conscience politique et de son matériau poétique.
De la révolte suscitée par la répression coloniale aux lendemains des indépendances qui déchantent, en passant par les traumatismes matériels et psychiques de la longue guerre de libération (1967-80). On retrouvera quelques-unes de ces thématiques dans l’œuvre romanesque du Zimbabwéen, composée de la trilogie « Ossuaire » (Bones, 1988), « Ombres » (Shadows, 1994) et « Ancêtres » (Ancestors, 1996).
Lauréat du prix japonais Noma, « Ossuaire » raconte la quête désespérée d’une mère pour son fils unique parti faire la guerre pour libérer son peuple. Le roman puise sa substance thématique dans les brutalités de la guerre de libération qui a laissé derrière elle des terres brûlées et des hommes et femmes écrasés par la puissance des armes et la corruption à venir. Les victimes de l’histoire sont les véritables protagonistes des récits de Chenjerai Hove, récits reliés entre eux par cette empathie profonde qui traverse la narration comme un fil d’Ariane à la fois ténu et réparateur. Ils sont aussi reliés par la qualité du langage de Hove, poétique et métissé, situé à la confluence de l’anglais et le shona.
Poète dans l’âme, Chenjerai Hove était aussi un militant infatigable des droits de l’homme qui n’a jamais cessé de critiquer le pouvoir autoritaire de Robert Mugabe, malgré les risques. Fondateur de l’une des associations de défense des droits de l’homme les plus actives du Zimbabwe, la Zimbabwe Human Rights Association, le romancier a publié régulièrement des articles contre la corruption et l’oppression du régime Mugabe, réunis sous les titres de « Shebeen Tales » (1994) et « Palaver Finish » (1996).
Pan essentiel d’une œuvre littéraire et militante, ces volumes ont valu à Hove, en 2001, le German-Africa Prize, pour sa précieuse contribution à la liberté d’expression en Afrique.