Le parti n’est pas reparti?
Depuis quelque temps, les remous liés au renouvellement des instances du parti au sein du PDCI défraient la chronique au bord de la lagune ébrié. Les sorties quelquefois véhémentes de certains acteurs du parti à l’encontre du directoire actuel révèlent un malaise certain et profond en son sein.
Quand on connaît tout le poids politique et historique de ce parti sur l’échiquier politique ivoirien, cette situation suscite des interrogations et des inquiétudes au regard des enjeux en fond de scène.
De prime abord, il se dégage un sentiment de gêne de voir le PDCI en train d’instaurer une sorte de culte de la personnalité à l’endroit de Henri Konan Bédié.
Tout se passe comme s’il était irremplaçable alors qu’il y a des jeunes, compétents, à même de lui succéder valablement à la tête du parti. Il aurait logiquement pu se mettre à l’écart et montrer la voie, au lieu de vouloir tout ramener à sa personne au risque d’engendrer la division dans le parti.
Dans une certaine mesure, le PDCI donne l’image des partis politiques en Afrique où le président prend le parti pour «sa chose» et ramène tout à sa personne, refusant l’alternance.
Dans ces conditions, comment vouloir que de telles personnes, une fois arrivées au sommet, jouent effectivement le jeu de l’alternance en ne s’accrochant pas au pouvoir?
Selon les textes du PDCI, Bédié, qui est aujourd’hui âgé de 79 ans, ne peut plus se présenter comme candidat à la présidence du parti, l’âge requis pour le faire s’étendant entre 40 et 75 ans.
Toutefois, la volonté affichée de vouloir modifier les textes pour lui permettre de le faire ne rend pas service au parti, et risque d’entraîner une scission en son sein, si ce n’est une implosion.
Ce qui se passe au sein du PDCI est un grand sujet de débat parce qu’à y regarder de prêt, cette situation est indissociable du contexte politique général national dont l’enjeu principal est la présidentielle de 2015.
Bédié ne veut pas d’un candidat PDCI contre Alassane Dramane Ouattara (ADO), le président actuel, qui a déjà déclaré qu’il est candidat à sa propre succession, contrairement à certains militants du parti dont le jeune Kouadio Konan Bertin (KKB) qui a clairement annoncé que le parti doit présenter un candidat à la présidentielle de 2015.
Dans le fond, Bédié n’a pas préparé la relève et c’est là tout le drame. Pourtant, il en avait le temps et les moyens. En ayant tergiversé à préparer un dauphin, il s’expose aujourd’hui à la contradiction au sein de son parti et à la critique acerbe de ses contempteurs, en voulant non seulement jouer les prolongations à la tête du parti, mais aussi et surtout en allant à l’encontre des textes qu’il a lui-même contribué à asseoir.
Cependant, l’enjeu de 2015 est tel que Bédié, conscient des actes qu’il pose, tient à rester au gouvernail pour préserver les intérêts du RHDP et lui permettre d’aller de façon unie aux élections en soutien à ADO, surtout que le FPI est en embuscade et ne cesse de faire des appels du pied au PDCI pour une alliance contre le RDR et son mentor qui est sa bête noire déclarée. Et tous ces jeunes qui s’agitent ne risquent-ils pas de se trouver en phase avec le FPI ?
L’historique de la construction du PDCI autour de la personnalité emblématique du président Houphouët-Boigny fait qu’aujourd’hui, beaucoup de militants de ce parti voient en Bédié la figure de Houphouët. Vu le contexte, le pays peut donc difficilement se passer d’un tel personnage par rapport à l’enjeu.
Bédié est le moindre mal pour assurer une certaine paix sociale et la stabilité, compte tenu des déchirements que le pays à connus dans un passé récent et qui sont loin d’être cicatrisés.
Dans ces conditions, les gens se méfient des velléités d’un KKB, parce que la Côte d’Ivoire a besoin de tourner durablement, voire définitivement la page meurtrière qu’elle a connue, dans un pays où les partis politiques ont longtemps eu une configuration ethnique et régionaliste, vision aujourd’hui en voie d’être dépassée.
Si Bédié avait préparé un dauphin consensuel, cette question ne serait pas d’actualité. Qui donc, mieux que Djédjé Madi, malgré les suspicions dont il est l’objet, aurait pu lui succéder ?
Son péché originel aura donc été de n’avoir pas préparé l’alternance avec un homme de consensus au sein du parti, sur qui, il aurait, du reste, pu avoir une certaine emprise pour continuer à influencer la marche du parti s’il le désirait : donc partir tout en restant.
Au lieu de cela, il se trouve aujourd’hui dans le mauvais rôle d’un gérontocrate qui ne veut pas passer la main alors que, pour l’avenir du parti, il devrait se retirer et jouer sur le terrain du consensus en encourageant les jeunes à regarder dans la même direction que le RDR.
Le PDCI part donc à son congrès, en étant fragilisé, et risque une scission dont Bédié portera la responsabilité, lui qui pourrait même y connaître la honte s’il n’est pas réélu comme il le souhaite ou s’il est mis en minorité.
Le véritable enjeu est donc 2015 où Bédié veut porter le maximum de soutien à ADO pour lui permettre de rempiler et continuer le travail remarquable qu’il est en train d’accomplir au profit de toute la Côte d’Ivoire, aussi bien à Abidjan qu’à l’intérieur du pays et dans toutes les régions.
Son bilan à mi-parcours est du reste fort éloquent à ce propos. En plus, le RDR et le PDCI apparaissent aujourd’hui comme des frères siamois, même s’ils ont eu à s’opposer par le passé.
Au-delà de l’hommage que ADO a rendu à Bédié en « l’immortalisant » à travers le 3e pont sur la lagune qui portera son nom, il faut voir en ce soutien de Bédié à Ouattara, le choix de la paix pour la Côte d’Ivoire, au détriment des textes de son parti car, pour avoir dirigé ce pays, il le connaît bien et est à même de détecter tout ce qui pourrait, à nouveau, être source de danger pour la paix encore fragile et si durement retrouvée. Cette paix qui était le credo de leur mentor commun Houphouët-Boigny dont ils se réclament tous les deux aujourd’hui.
En cela, on peut donc vouer Bédié à toutes les gémonies pour n’avoir pas su respecter la forme ; mais dans le fond, il faudrait saluer sa hauteur de vue parce que beaucoup d’acquis sociaux pourraient être remis en cause si la Côte d’Ivoire devrait revenir à une gestion catastrophique telle que celle des 10 ans du FPI, avec en fond les éternels règlements de compte.
Du reste, que gagne-t-il personnellement à rester à la tête du PDCI s’il ne peut plus briguer la magistrature suprême de son pays La renommée? La fortune? Il a déjà tout cela.