Alarme aux armes et aux larmes!
Depuis le coup d’Etat de Noël 1999 et le début de la rébellion de septembre 2002, la possession d’armes légères de manière illégale s’est intensifiée en Côte d’Ivoire. Elle a atteint un niveau inégalé avec la crise postélectorale de 2010-2011. Ce qui explique la cérémonie de destruction d’armes légères qui s’est déroulée, jeudi 18 avril, dans la commune de Yopougon.
Depuis les agitations qui ont récemment secoué la Côte d’Ivoire – notamment la destitution du président Henri Konan Bédié en 1999, une longue insurrection et des agitations postélectorales meurtrières en 2011 – une profusion d’armes circule dans le pays. Celles-ci alimentent les violations des droits de l’homme, la forte criminalité et l’insécurité omniprésente.
Deux ans après l’arrivée de Laurent Gbagbo au pouvoir, son gouvernement a été confronté à une mutinerie de l’armée qui s’est transformée en une rébellion de grande ampleur. Selon un récent rapport d’Amnesty International, le gouvernement s’est alors lancé dans un « programme frénétique d’acquisition d’armes ».
Selon ce même rapport, l’Angola, la Chine, la Biélorussie, la Bulgarie, l’Ukraine et Israël ont tous vendu des armes au gouvernement ivoirien en 2002 et 2003. D’après Salvatore Sagues, chercheur d’Amnesty International spécialisé dans l’Afrique de l’Ouest, l’embargo des Nations Unies sur les armes de 2004 n’a pas suffi à interrompre l’afflux d’armes dans le pays.
«Des armes ont continué à être fournies aux forces pro-Gbagbo pendant la crise postélectorale de 2011. Cela prouve que même un embargo des Nations Unies est insuffisant pour arrêter le commerce illégal d’armes», a dit M. Sagues.
Les armes acquises par les rebelles des Forces Nouvelles, qui ont contrôlé le nord du pays de 2002 à 2009, sont encore plus difficilement traçables, car la plupart ne sont pas enregistrées. Selon Amnesty, on sait cependant que les Forces Nouvelles ont eu recours à des fusils d’assaut chinois, polonais et russes.
Désiré Adjoussou, président de la Commission nationale de lutte contre la circulation illicite d’armes légères et de petit calibre (ComNat), a déclaré qu’il était difficile de connaître le nombre d’armes en circulation en Côte d’Ivoire.
«La détention de ces armes est illégale. Mais elles sont faciles à démonter, cacher et transporter», a dit M. Adjoussou.
Lors du conflit postélectoral, qui a fait près de 3 000 morts, des armes ont été volées dans des postes de police et des casernes et ont alimenté le flot d’armes en circulation dans le pays.
Depuis la crise, le pays a été secoué par plusieurs attaques armées qui, selon le gouvernement du président Alassane Ouattara, seraient l’œuvre de sympathisants de son opposant, M. Gbagbo.
Des casernes, des postes de police et d’autres lieux ont été pris pour cible fin 2012 à Abidjan, la capitale commerciale, et dans d’autres régions. Ces attentats, qui auraient été perpétrés par des sympathisants de M. Gbagbo, ont donné lieu à une vague de répression de la part du gouvernement et à des violations présumées des droits de l’homme.
Déchiré par des rivalités politiques d’ordre ethnique et des conflits fonciers insolubles, l’ouest de la Côte d’Ivoire demeure une poudrière. Dans ce contexte, au moins 14 personnes ont été tuées au mois de mars, dans des attaques perpétrées près de la frontière libérienne.
« Dans l’ouest du pays, de nombreuses personnes sont armées, surtout les dangereux Dozos », a dit M. Sagues, en faisant référence aux chasseurs traditionnels qui ont combattu aux côtés des forces de M. Ouattara lors de la crise postélectorale.
« Ils possèdent des armes traditionnelles et des AK-47 fournis par les autorités et ils s’en servent pour opérer des arrestations arbitraires ou extorquer de l’argent », a dit M. Sagues. Dans un rapport publié en février, Amnesty International a décrit les Dozos comme « une milice soutenue par l’État ».
« Le trafic d’armes et de munitions est extrêmement répandu dans les villes et les villages […], parfois avec la complicité de membres des forces de sécurité », a révélé un récent rapport de la ComNat au sujet de l’ouest de la Côte d’Ivoire.
« Lors de la crise postélectorale, tout le monde cherchait à se protéger et tout le monde était donc armé », explique le rapport. « Les armes sont maintenant facilement disponibles et il est aisé de s’en procurer ».
À Abidjan, une arme à feu coûte entre 30 000 et 50 000 francs CFA (soit entre 60 et 100 dollars). Dans l’ouest du pays, qui est une région plus agitée, un pistolet automatique coûte 10 000 francs CFA (20 dollars) et un AK-47 20 000 francs CFA (40 dollars), selon la ComNat.
« Il règne un climat de peur qui pousse certaines personnes à conserver leurs armes au cas où ils en auraient besoin pour se défendre », a dit à IRIN Rinaldo Depagne, chercheur sur l’Afrique de l’Ouest pour International Crisis Group (ICG).
Les efforts déployés en matière de désarmement depuis les violences qui ont suivi les élections ont jusqu’à présent donné peu de résultats. Selon M. Adjoussou, de la ComNat, quelque 2 800 personnes ont rendu leurs armes et environ 1 900 différents types d’armes et 1 850 grenades ont été collectés.
Dans le souci de redonner une impulsion à ces efforts, le gouvernement a remplacé en 2012 six différents organes de désarmement par l’Autorité pour le désarmement, la démobilisation et la réinsertion (ADDR).
Selon le premier ministre Daniel Kablan Duncan, environ 64 500 anciens combattants sont prêts à être désarmés. Le chef de l’opposition, Mamadou Koulibaly, estime quant à lui leur nombre à environ 100 000.