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DR DENIS MUKWEGE: Le tour en Italie de l’illustre gynécologue Rd-congolais: Turin, Rome, Reggio Emila, Trento

Le 15 novembre, dans la salle de conférence de l’Hôtel Abitart de Rome, s’est tenue l’étape romaine du tour italien du Dr Denis Mukwege, avec une conférence intitulée «Droits humains et futur dans la République Démocratique du Congo». Le célèbre gynécologue congolais, baptisé comme « L’Homme qui répare les femmes » est en effet mieux connu pour le travail précieux que, depuis maintenant une vingtaine d’années, dans l’hôpital de Panzi, ensemble avec son équipe et ses collaborateurs, il a entrepris, avec la mission de prendre soin des femmes victimes des viols dans son pays, à travers un parcours de « reconstruction »  non seulement physique mais surtout aussi psychologique, afin d’aider ces pauvres victimes à une récupération de la dignité individuelle et à leur réinsertion sociale. Outre à la nomination au Prix Nobel, l’œuvre du Dr Denis Mukwege lui a valu le  prestigieux Prix Sacharov pour la Liberté de pensée, importante reconnaissance du Parlement Européen, intitulé au physicien et dissident russe. Sa longue liste de reconnaissances internationales en vante également d’autres dont notamment des doctorats honoris causa ainsi que le Prix « Right Livelihood », connu comme le Prix Nobel alternatif. Au cours de la Conférence de Rome, Dr Denis Mukwege a illustré les divers aspects de sa noble mission professionnelle et du programme d’action de son équipe, donnant un témoignage direct du rapport médico-social avec ses patientes. Sollicité également sur la situation politique de son pays, il a répondu à bâtons rompus, illustrant son point de vue sur l’action à mener pour un Congo prospère.

La conférence a été organisée par un pool de diverses associations: Peace Walking Man, Evolution // Neema, Comitato perla protezione e promozione dei diritti umani, TamTam D’Afrique, African Summer School Italy, Donne Panafricane Nella Diaspora, Media Partner: Vision Channel Africa.  

Coordonnée par Mambulu Ekutsu (Directeur de l’African Summer School Italy), la conférence  s’est ouverte par la projection d’un film sur la mission médico-humanitaire du Dr Denis Mukwege: un documentaire contenant des passages à choquer les consciences, notamment  les témoignages crus des femmes victimes des viols et des violences, exprimant tout leur amer désespoir et le joug qu’elles ont dû et doivent supporter pour redonner un quelque sens à leur raison de « survivre ».

Puis il y a eu l’intervention de la congolaise D.ssa Suzanne Diku Mbiye, présidente de l’Association Tamtam d’Afrique et elle aussi gynécologue, opérant à l’INMP (Institut National pour la prise en charge de la santé des populations Migrantes et des maladies de la Pauvreté) à Rome, qui, au nom des organisateurs et des présents, a souhaité la bienvenue au Dr Denis Mukwege.

Soulignant le fait que s’occuper de la santé, c’est s’occuper des droits, elle a rappelé le travail et la mission qu’au risque des menaces à sa vie, l’illustre gynécologue congolais a entrepris dans son œuvre  de dénonce du problème des viols et violences contre les femmes, au niveau international, mettant l’accent sur le caractère désormais international dans lequel opère la Fondation Mukwege, une structure qui travaille également à la formation d’experts et organisations d’autres pays.

A son tour, le Dr Denis Mukwege a remercié pour l’invitation et l’accueil chaleureux reçus. Il s’est complu notamment de la riche diversité des présents, une muliticulturalité de la salle «comme devrait être le monde dans lequel nous vivons et le témoignage qu’on n’a pas d’une part la souffrance du Congo. Quand l’humanité souffre, c’est tout le monde qui souffre», a-t-il souligné.

Il a expliqué que le programme de cette visite en Italie part d’une invitation directe vivement sollicitée par des étudiants de deux lycées de Trento,  venus à connaissance des activités de sa mission, à travers le pèlerinage continu du congolais John Mpaliza de l’Association « Peace Walking Man » dans les écoles d’Italie notamment. Ces jeunes lycéens italiens ont ainsi tenu à le rencontrer personnellement afin de mieux le connaître et aussi avoir l’occasion de se faire expliquer, directement par lui-même, le travail qu’il accomplit. Et de là, ont ensuite découlé d’autres initiatives et rencontres qui ont enrichi les autres pages de l’agenda de ce tour italien, touchant notamment Torino, Rome, Reggio Emila, Trento…, outre à une rencontre avec le vice-ministre italien des Affaires Etrangères, M. Mario Giro.

Reprenant le récit du documentaire, Dr Denis Mukwege a expliqué l’atrocité des cruelles lésions volontairement infligées aux victimes, dans la claire intention d’affirmer la force par rapport à la population locale. Sollicité à citer quelque histoire singulière des femmes qu’il a rencontrées, Dr Denis Mukwege, tout en avouant sa sincère difficulté d’en citer une en particulier, car elles sont toutes particulières les unes et les autres, a cependant résolument affirmé que «la situation des femmes victimes du problème des viols est inquiétante», rappelant qu’une amélioration progressive de la situation  qui s’était vérifiée pendant deux ans, a malheureusement été rendue vaine par le contexte politique marqué par le chaos de l’absence d’élections, qui a plongé le pays dans une incertitude, émaillée de manifestations, qu’à leur tour, la sévère répression ne permet pas d’être déployées et de se dérouler comme le voudraient les organisateurs et les participants. Et ce sont malheureusement les enfants et les femmes qui en majorité paient les pots cassés, a-t-il dénoncé.

«Voir une femme qui a l’âge de votre mère, un bébé qui a l’âge de votre petit-fils, une gamine  qui a l’âge de votre fillette, violés méchamment juste pour démontrer la force et la supériorité, amène à se poser la question sur comment aller de l’avant», a amèrement confessé le gynécologue congolais,  mettant à nu le contraste auquel a dû se plier l’exercice de sa profession: «J’ai étudié pour donner la vie. Jamais et encore jamais je n’aurais imaginé devoir accomplir des actions du genre de celles que j’ai dû accomplir dans mon travail. Durant mes études, je n’ai jamais appris que j’aurais dû « réparer ». Ce qui donne la force, c’est force de ces femmes».

Oui, la force de ces femmes, justement, comme de celle-ci, héroïne de ce récit qu’a raconté Dr Denis Mukwege: «Il y avait une patiente qui, à cause des exactions sexuelles et physiques subies, souffrait de graves problèmes d’incontinence urinaires et fécales (pertes incontrôlées de pipi et caca – ndlr). Elle avait été refusée de tous et elle puait. Nous l’avons insérée dans notre programme de soins et, à sa guérison, lui avons donné une aide financière de 50 dollars. Avec cet argent, elle s’est achetée une parcelle et s’est construit un toit. Après, elle est revenue me trouver, un jour, pour me dire qu’elle voulait me faire voir ce qu’elle avait fait des sous reçus, et qu’elle serait honorée de m’avoir comme invité chez elle et de pouvoir me cuisiner une omelette. Mes larmes ont coulé».

Parlant du programme d’intervention de son équipe, Dr Denis Mukwege a révélé qu’au début, ils avaient commencé par les soins physiques, sauf s’apercevoir que ces derniers tous seuls étaient insuffisants. Il a fallu donc compléter avec les soins psychologiques car le viol, ainsi sciemment perpétré, ne vise pas à détruire seulement la victime mais aussi l’environnement.

Par exemple, explique-t-il, «un enfant qui voit le viol de sa mère,  subira un changement traumatique dans sa relation par rapport à la femme. Les femmes violées se retrouvent abandonnées. A travers la médiation familiale, on parvient à sauvegarder la cohésion de la famille. Et ce, contre l’exclusion et la discrimination des victimes dans la société».  

Interrogé sur ce qu’il en est des auteurs des violences considérées crime de guerre, Dr Denis Mukwege a surtout pointé le doigt sur le climat d’impunité, qui a pour exécrable conséquence de pousser les violeurs à continuer d’agir, conscients de n’être jamais inquiétés.

«Le viol lâchement utilisé comme arme de soumission et anéantissement de l’ennemi est quelque chose qui doit être farouchement dénoncé au niveau local et international. Pourquoi ce silence de la communauté internationale? La Cour Pénale Internationale, par exemple?», demande-t-il accusant que «le silence encourage l’impunité. Cela fait 20 ans que le Congo attend. Les femmes congolaises demandent justice. Mais qui la leur donnera? Je ne suis pas en mesure aujourd’hui de donner cette réponse», déplore-t-il.

Sollicité à s’exprimer sur la situation actuelle au Congo, Dr Denis Mukwege n’a pas mâché les mots, dénonçant et condamnant de manière crue, le climat d’insécurité qui règne souverain et incontrôlé, dans les diverses couches de la vie sociale, portant d’ailleurs au terrorisme civil, comme c’est arrivé récemment.

Et sur la question de la transition au Congo, pour laquelle quelqu’un le considère comme papable pour la prise en main, Dr Denis Mukwege a toutefois tenu à marquer qu’il se considère un homme d’état et pas un homme politique, expliquant que «le premier se bat pour s’assurer un poste dans la politique tandis que le second est celui qui pense au bien communautaire, qui a une pensée pour notre société et pas pour soi-même».

Il avertit que «la transition dont on parle est illusoire, imaginaire. Si on laisse les Congolais vivre dans l’illusion, c’est laisser les Congolais dans la misère. Cette façon de penser à un rêve qui ne se réalise pas fait que les choses restent pareilles. Il faut prendre conscience de la réalité».

La réalité, c’est que Kabila ne veut pas partir, ni encore organiser les élections.

Le fait que Dr Denis Mukwege ait étudié au Burundi puis fait sa spécialisation en France et opère actuellement au Congo, faisant synergie avec d’autres pays, a également été l’occasion d’une question sur la panafricanité.

«L’Afrique va mal» a sanctionné le gynécologue dénonçant l’exploitation du continent avec la complicité coupable des Africains eux-mêmes et soulignant : «Un pays qui va mal, cela se répercute sur les autres. Comme c’est le cas en Afrique Centrale où, à un tripatouillage de la Constitution, ont suivi d’autres imitations dans les pays alentours». Et de tonner: «Changer la constitution, c’est créer l’insécurité et la misère, entraînant les conflits. Il faut ramener la culture démocratique».

De même, la mondialisation et la globalisation doivent être recalibrées à mesure de l’être humain. «Les crises déclenchées dans les pays africains finissent par impliquer aussi l’Europe elle-même, comme le démontrent les bibliques exodes migratoires de ces dernières années». (Si tu lances une pierre en l’air, elle te retombe sur la tête – ndlr). Il faut revoir la course effrénée à la consommation, reprendre et rétablir la centralité des droits de l’Homme, préconise Dr Denis Mukwege, dénonçant par exemple, ces entreprises chinoises qui, pour tirer le maximum de profits, exportent tout le matériel déterré, annulant pratiquement toute transformation locale. Et ainsi faisant, elles by-passent complètement toute moindre retombée minimum au bénéfice de la population locale.

A la question de savoir quelle vision il a du Congo, dans 20 ans, Dr Denis Mukwege s’est montré plein d’espoir envers le futur de son pays, qu’il définit «incroyable. Je suis à 2.000 km de la capitale mais quand j’y travaille, je me sens chez moi», dit-il avec fierté. «La force du Congo, c’est celle d’être une nation. Il nous faut juste la possibilité d’être un État. Depuis longtemps, le Congo a été colonisé par d’abord un seul homme, puis un petit pays, infiniment plus petit, dans une logique internationale qui favorise tous les appétits extérieurs. On ne nous donne pas cette chance mais c’est à nous de l’arracher. Et faire du Congo le paradis qu’il mérite d’être».

En conclusion, le dernier mot a été à l’endroit de la diaspora africaine qui, contrairement à la population locale africaine dont les niveaux d’analyse sont altérés par les conditions difficiles et polluées, peut, elle, bénéficier de la possibilité d’accès aux informations, jouir d’une sérénité psychologique et d’une capacité d’analyse à distance. Il a lancé un appel surtout aux jeunes qui sont appelés à jouer un rôle important pour l’avenir du continent. 

Puis, remerciant de nouveau les organisateurs de la conférence et le nombreux public présent, il a rappelé que c’est la troisième fois qu’il vient en Italie et qu’il est heureux de constater que c’est un pays qui a toujours un certain enthousiasme.

«Serait-ce parce qu’il a beaucoup de prêtres italiens au Congo? » a-t-il plaisanté, suggérant alors que les religieux pourraient être «une voie possible à emprunter pour garder les phares allumés sur le Congo, car ils sont en première ligne sur ce qui s’y passe».

Et de conclure : «Le Congo se rétablira par les Congolais, avec l’appui des amis du Congo».  

En marge de la conférence, Dr Denis Mukwege a également apposé sa signature sur le « Drapeau des Femmes », présenté à l’occasion de cet évènement: il s’agit d’une longue banderole de 10 m de long, avec une pétition de signatures pour réaffirmer le refus de la violence aux femmes. À rappeler que ce drapeau, auquel s’ajouteront les signatures des Premières Dames africaines, avait déjà été signé entre autres par les trois femmes Prix Nobel de la Paix 2011: les libériennes Ellen Johnson Sirleaf (à l’époque, présidente de la République), Leymah Gbowee (militante pour la paix en Afrique) et la yéménite Tawakkul Karman (activiste pour la défense des droits de l’homme). Et aussi par l’euro parlementaire italo-congolaise Cécile Kyenge. Après broderie, le drapeau devait ensuite être présenté officiellement à Bruxelles, le 9 décembre 2017. 

Photo: Dr Denis Mukwege et Mario Giro (Vice-ministre italien des Affaires étrangères

Milton Kwami

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