Terroristars?
Dans les séries et les films américains, les méchants, pendant plusieurs décennies, c’étaient les communistes, les agents de Moscou, ces espions venus de l’Est, qui s’infiltraient à l’Ouest, pour détruire le monde capitaliste. Rappelez-vous des films de James Bond dont l’action se situe souvent durant la Guerre froide: l’agent 007 recourt à toute sorte de gadgets pour sauver le «monde libre» et venir à bout d’agents du KGB.
Les choses, alors, étaient simples, le bloc capitaliste faisait face au bloc communiste, on savait qui étaient les gentils et qui les méchants. Tout allait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes hollywoodien, lorsque, patatras, tout s’effondre en 1989 avec la chute du Mur de Berlin, suivie par l’implosion de l’URSS en 1991.
Détresse et vent de panique chez les scénaristes de Hollywood, complètement désemparés, privés de leurs repères. Quoi, n’y aurait-il plus de méchants? Comment allaient-ils faire désormais pour écrire leurs scénarios de films si l’Oncle Sam n’avait plus d’ennemis?
Et puis, le miracle: le 11 septembre 2001, l’Amérique est attaquée, les symboles mêmes de sa toute-puissance, les tours jumelles du World Trade Center, sont détruites par des «islamistes arabo-musulmano terroristes». L’Amérique, et avec elle le reste du monde, découvre alors le visage hideux de ses nouveaux ennemis. Aussitôt, les claviers d’ordinateur des scénaristes de Hollywood recommencèrent à crépiter: les méchants communistes pouvaient reposer en paix, ils avaient désormais de vaillants remplaçants.
Et depuis lors, on ne peut plus respirer. Combien de films et de séries américaines avons-nous vu défiler devant nos yeux fatigués avec, toujours, les mêmes ennemis désignés, tout droit sortis des zones tribales qui jouxtent l’Afghanistan, des écoles coraniques d’Islamabad ou du grand bazar du Caire ou de Téhéran?
Actuellement, on frise carrément l’overdose. Ainsi, le film choc «Zero Dark Thirty» met en scène la traque et la mort d’Oussama Ben Laden. Et si le film suscite des polémiques aux Etats-Unis, ce n’est pas parce que des militaires américains ont assassiné un homme sur le territoire d’un pays souverain, au lieu de l’arrêter et de le confier à la justice, mais parce qu’il montre des scènes de torture de présumés «terroristes islamistes» pratiquées par des agents de la CIA.
«Zero Dark Thirty» demeure un film de propagande à la gloire d’une Amérique toute puissante et justicière, qui combat et vainc ses ennemis, qui appartiennent forcément à l’axe du mal. Comme les communistes avant eux.
Et aux récents Golden Globes à Los Angeles (sorte de répétition générale de la remise des Oscars du 24 février prochain), c’est le film «Argo», réalisé et joué par Ben Afleck, qui a été distingué. Le scénario met en scène l’exfiltration d’Iran en 1979 de 6 membres de l’ambassade américaine par des agents de la CIA. Une histoire vraie, mais racontée de manière caricaturale, donnant à voir l’image d’un Iran et d’un islam sauvages, avec des pendus en plein rue, des gens fouettés publiquement, des exécutions sommaires, tandis que les Etats-Unis sont présentés, sans surprise, comme le pays des libertés.
Quant à la fameuse série «Homeland», également primée aux Golden Globes, elle met en scène un marine américain qui aurait été converti et retourné après avoir été détenu 8 ans par Al Qaida. Lorsque l’agente de la CIA qui le suspecte se rend à Beyrouth, «on ne voit que des femmes voilées en noir comme si on était dans le fief des talibans» s’insurge sur son blog le célèbre écrivain marocain Tahar Ben Jelloun, qui estime que le ministre libanais du tourisme a eu bien raison de porter plainte contre cette image négative que donne «Homeland» de la capitale libanaise. Pour Tahar Ben Jelloun en tout cas, il est clair que désormais «l’islam et le monde arabe ont remplacé le communisme et l’Union soviétique dans l’imaginaire américain».