Hip! Hip! Houria!
Houria Aïchi est chanteuse. Née dans les Aurès, elle vit en France depuis les années 1970. Dotée d’une très belle voix, puissante et pure, cette Algérienne est reconnue à travers le monde entier comme l’ambassadrice du chant des femmes des Aurès.
Depuis plus de 30 ans, Houria Aïchi prête sa voix aux chanteuses de son enfance dont les chants ont marqué les mémoires locales et qu’elle revisite avec brio, faisant entendre un large panel de genres (berceuses, chansons d’amour, dhikrs soufis… )
Son dernier disque, intitulé «Renayate» (« Chanteuses » en dialectal algérien) compte une sélection de 12 chansons remises au goût du jour. Ce nouvel album est un vibrant hommage aux grandes voix féminines algériennes. Passionnée de lectures, la chanteuse des Aurès a toujours un livre dans son sac. Notamment aujourd’hui «Les Trois femmes puissantes» (Gallimard) de la Franco-Sénégalaise Marie N’Diaye.
Qu’est-ce qui vous plaît dans ce roman?
La force de caractère des trois protagonistes féminins du livre. Mais au-delà des thèmes et des personnages, ce qui me touche plus particulièrement dans l’écriture de Marie N’Diaye, c’est son phrasé, un phrasé saccadé et âpre. C’est une prose très orale, musicale que j’ai plaisir à lire à haute voix.
Etes-vous une grosse lectrice?
Je ne sais pas comment je pourrais vivre sans les livres. Je n’ai pas beaucoup de temps libre pour la lecture, mais j’ai toujours un livre dans mon sac à main. Quand je sors de la maison, je me dis que je trouverai le temps de lire quelques pages, entre deux réunions ou deux répétitions pour des concerts.
Comment êtes-vous venue à la musique et aux chansons?
Par ma grand-mère qui était une sorte de troubadour. Petite fille, je l’accompagnais dans les fêtes familiales. C’est elle qui m’a fait connaître le répertoire des chants poétiques de l’Aurès. J’ai appris à chanter en l’écoutant. Mais de là à penser que je deviendrai un jour une chanteuse professionnelle, je ne pouvais l’imaginer dans mon rêve le plus fou !
Vous vouliez être enseignante, je crois?
Mes ambitions étaient effectivement modestes. Je suis venue en France dans les années 1970 pour faire des études qui m’auraient permis de devenir enseignante en Algérie.
Mais les choses se sont ensuite passées très différemment. En fait, des personnes qui m’avaient entendu chanter lors d’une soirée amicale à Paris, m’ont invitée à participer à un Festival de Chants de Femmes. Mon premier concert a eu lieu en 1986. C’est le début de ma carrière inespérée dans la chanson.
C’est aussi l’époque où Bernardo Bertolucci vient vous chercher pour faire la bande originale de son film Un thé au Sahara?
Je n’ai pas rencontré Bertolucci personnellement. C’est l’un de ses collaborateurs qui m’a téléphoné. J’étais ravie qu’un grand cinéaste comme Bertolucci veuille intégrer dans un film occidental à grand budget des chants des paysans et des montagnards de l’Aurès.
Ce qui me ravissait dans ce projet, c’était la possibilité que cela représentait de faire entrer cette musique enracinée dans le terroir aurésien, dans le répertoire des sons du monde.
C’est ma démarche encore aujourd’hui, donner un écho international aux chants oubliés de ma région natale. C’est l’esprit qui m’anime lorsque je travaille avec des compositeurs de musique contemporaine tels que Ryuichi Sakamoto ou Jean-Marc Padovani.
Lorsque vous avez fait la bande-son pour Bertolucci, vous sentiez-vous proche de l’univers du romancier Paul Bowles dont le film est tiré ?
J’ai découvert l’œuvre de Bowles en travaillant sur la bande-son. Je me suis un peu reconnue dans la recherche effrénée de l’autre et de l’ailleurs de cet auteur qui a, je crois, passé l’essentiel de sa vie d’adulte au Maroc.
Quels sont vos premiers souvenirs de lecture?
J’ai lu mes premiers livres dans le contexte scolaire. On ne lisait pas chez moi, et, du coup, j’ai été privée de ces lectures d’enfance qui sont tellement formatrices. Ma première émotion littéraire, autant que je m’en souvienne, date de mes treize, quatorze ans, lorsque nous avons lu en classe Phèdre de Racine. Cette lecture a été une expérience aussi fondatrice que bouleversante.
Phèdre vous parlait?
Et comment ! La passion de Phèdre me parlait car elle me renvoyait à une civilisation qui nous est commune, la civilisation méditerranéenne. Même si la langue était difficile pour la jeune adolescente que j’étais, l’humanité que Racine nous donnait à voir ne m’était aucunement étrangère. La lecture de Phèdre a été un tournant, car elle m’a donné envie de plonger dans les classiques français. Hugo, Flaubert, Diderot…
Au moment où vous découvrez la littérature française, la littérature algérienne est en plein boom. Vos professeurs ne vous demandent-ils pas de lire les Kateb Yacine, les Jean Amrouche, les Mohammed Dib?
Oui, mais je les lirai plus tard, une fois arrivée en France. Le seul écrivain algérien que j’ai lu quand j’étais encore en Algérie, c’était Kateb Yacine. Kateb était très populaire, car il parlait de la jeunesse, de notre vie. J’ai lu Nedjma. C’était une lecture difficile, mais j’avais toutefois compris que Nedjma n’était pas n’importe quelle jeune fille. Elle était la métaphore de l’Algérie.
Est-ce que vacances riment avec lecture pour vous?
Evidemment… Cela dit, quand je pars en vacances, je n’emmène que des livres faciles à lire. Des policiers, par exemple. Depuis quelques années, je lis beaucoup les Islandais. Je conseille vivement à tous ceux qui aiment des polars à lire les romans d’Arnaldur Indriðason.
Des récits d’une construction sans faille, qui vous tiennent en haleine jusqu’à la dernière page. Parfait pour lire au bord de la piscine. J’emmène cette année La rivière noire (Métailié) d’Indriðason. Enfin, je vais aussi emmener dans ma valise le beau roman d’Alexis Jenni, L’art français de la guerre (Gallimard) qui a eu le prix Goncourt il y a deux ans.
Ce n’est pas une lecture facile. Ce livre est un gros pavé de 600 pages que j’avais commencé à lire au moment du Goncourt, mais j’avais abandonné faute de temps. Comme j’avais été sensible au style très fluide de ce récit et surtout à ses thématiques de colonisation, de liberté, j’ai envie de le reprendre. Est-ce que j’aurais le courage d’aller jusqu’au bout, cette fois ? Je ne sais pas.
Ces livres, vous les lirez en version papier ou en version numérique?
Je me souviens qu’aux dernières vacances, j’ai vu des gens en train de lire sur des tablettes. Je m’étais alors faite la réflexion : comment peut-on lire un livre sans avoir ce contact matériel avec le papier ? Je sais qu’un jour, il faudra que je me mette aussi au numérique.
Mais je prends le temps. D’autant que l’achat de livres numérique va me priver d’un de mes plus grands bonheurs qui est d’aller chiner dans des librairies, me promener parmi les étagères, toucher les couvertures des livres sur le présentoir. C’est jouissif, charnel ! Pour moi, les librairies sont les bels endroits du monde.
Un livre que vous auriez aimé avoir écrit?
Syngué Sabour (P.O.L.) de l’écrivain afghan Atiq Rahimi. Sans hésitation, c’est le livre le plus fort que j’ai lu ces dernières années. Je l’ai lu d’une seule traite. Si j’étais écrivain, j’aurais aimé raconter des histoires comme ça.
Au-delà de la passion et de la violence, ce qui m’a plu dans ce roman c’est la résistance, la quête de la liberté et, enfin, l’explosion finale qui est vécue comme une délivrance. Délivrance pour le personnage, mais aussi pour le lecteur. Toute lecture est une délivrance. Les bons livres nous délivrent de nos démons.