Gaou à Ouaga!
Le Festival des Musiques Urbaines d’Anoumambo (FEMUA), sa relation avec le couple présidentiel Ouattara, la séparation du groupe musical « Yeleen », ce sont là, entre autres, les sujets abordés dans cette interview d’A’Salfo, il leader du groupe MAGIC SYSTEM (auteur du fameux tube « 1er Gaou »), réalisé à Ouaga, lors du passage du groupe, invité pour clôre la 23e édition du FESPACO (Festival Panafricain du Cinéma de Ouagadougou).
Qu’est-ce que cela vous fait d’être le groupe invité pour la clôture d’un grand festival comme le FESPACO?
Cela a été un grand honneur pour nous de jouer à la clôture de la 23e édition du FESPACO. Quand on est un groupe africain et qu’on est sollicité pour clore le plus grand festival des films africains et l’un des plus grands au monde, cela ne peut que nous procurer de la satisfaction. Nous avons été très honorés et nous avons pris beaucoup de plaisir à communier avec les festivaliers au stade du 4- Août.
Etait-ce votre première fois de vous produire au FESPACO?
Oui pour le FESPACO. Mais ce n’est pas notre première fois de donner un spectacle au Burkina Faso. Au stade du 4-Août, là où s’est déroulée la cérémonie de clôture, nous y avons joué plusieurs fois.
Le 20 février dernier, vous avez lancé en Côte d’Ivoire, la 6e édition du Festival des musiques urbaines d’Anoumambo (FEMUA). C’est quoi le FEMUA?
Le FEMUA, c’est un festival qui a été créé à l’initiative du groupe MAGIC SYSTEM pour témoigner sa reconnaissance à un village qui l’a soutenu, à savoir le village d’Anoumambo. C’est une façon pour nous d’apporter notre pierre au développement du pays et le bien-être des populations, pas seulement celles d’Anoumambo. Nous organisons donc le festival avec un volet social très fort pour le bonheur des plus démunis.
Quelles sont les têtes d’affiches de la prochaine édition qui se déroulera du 11 au 14 avril?
Le FEMUA a toujours eu une programmation panafricaine. Cette année, nous aurons, entre autres : JB Mpiana de la RDC, Oumou Sangaré du Mali, San Fan Thomas du Cameroun, Alif Naaba du Burkina Faso, Charly Yapo l’Ivoiro-Canadien, la Fouine de la France, la lauréate des Grammy Awards Dobet Gnahoré qui est ivoirienne d’origine, et la sénégalaise Viviane Ndour (devenue Chidid il y a peu). A ces artistes, s’ajouteront cinq nationaux dont le groupe Les Patrons, Bebi Philip, Dj Mix, Sothéca, Les Marabouts d’Afrique. C’est donc une pléiade d’artistes de plusieurs horizons qui donneront des spectacles au FEMUA de cette année qui se déroulera effectivement du 11 au 14 avril dans les communes d’ Anoumambo et d’Abobo. C’est une programmation panafricaine qui parle d’intégration.
Oui mais parmi les artistes que vous avez cités, il n’y a pas un seul de l’Afrique du nord. Et si je me rappelle bien depuis que le FEMUA a débuté, il n’y a jamais eu un artiste de cette partie du continent au festival. Pourquoi ? Puisque vous parlez de programmation panafricaine.
Vous savez, le FEMUA est un festival qui est très jeune donc nous allons petit à petit. C’est vrai qu’en cinq éditions un artiste de l’Afrique du Nord ne s’y est pas encore produit mais cela ne veut pas dire que nous les excluons. Il y a même des pays qui sont proches de la Côte d’Ivoire et qui participeront pour leur première fois cette année. Je veux parler du Mali dont un artiste n’a pas encore donné un spectacle au festival si ce n’est cette année avec Oumou Sangaré. Comme je vous l’ai déjà dit un peu plus haut, c’est une histoire de programmation et nous allons y penser pour les prochaines éditions. Si nous avons pu inviter des artistes de la France, du Canada et de la Belgique, ce n’est pas ceux qui sont en Algérie, au Maroc ou en Tunisie, qui sont plus proches de la Côte d’Ivoire, qu’on ne pourra pas inviter.
A la 5e édition, vous aviez prévu des ateliers de formations pour les artistes, des rencontres professionnelles qui, finalement n’ont pas pu se tenir. Pourquoi?
Vous savez, les ateliers et les rencontres professionnelles dont vous parlez sont gérés par les services techniques du ministère de la Culture. Ce sont eux qui peuvent les mettre en place. Le FEMUA est un plateau qui permet aux artistes de pouvoir s’exprimer et j’ai trouvé bon d’associer ces activités pour apporter un plus à la chose. L’année passée, ces activités n’ont pas pu se tenir et je pense que c’est à cause d’un dysfonctionnement des différentes structures qui devaient nous donner un coup de main. Cette année, nous sommes encore là-dessus. Je ne maîtrise que l’aspect musical du festival. C’est la seule activité dans laquelle je peux prendre un engagement. Mais avec nos collaborateurs, nous verrons si cette année nous allons pouvoir associer ces activités. Nous sommes, en outre, en train de lutter pour avoir un village artisanal pour permettre aux jeunes artisans de venir exposer leurs oeuvres.
Ce qui est certain, ce sont les trois nuits de concerts?
Oui. Ce sont des concerts qui auront lieu les 12 et 13 avril à Anoumambo et le 14 à Abobo
L’édition de 2013 a été également lancée en France?
Oui. Le lancement en France a été fait le 31 janvier pour la presse internationale qui suit de très près le festival.
Si ce festival connaît un tel succès, est-ce grâce à la notoriété de MAGIC SYSTEM?
Je dirai que ce n’est pas forcément à cause de nous. C’est effectivement un festival qui ne peut pas se défaire de MAGIC SYSTEM mais je pense que le succès est plutôt dû au sérieux avec lequel nous l’organisons. En moins de rien, tout est gratuit à cet évènement sauf la logistique et les artistes. Je crois que les partenaires ne s’associent pas forcément à l’image de MAGIC SYSTEM mais à des oeuvres sociales et aussi au sérieux et au dynamisme que nous mettons dans ce festival. Je connais des agences à qui, si on leur donnait ce festival, elles échoueront. Nous avons la hargne, la volonté, le sérieux, et je crois que c’est tout cela qui fait que les partenaires nous accompagnent depuis la première édition.
Parlons maintenant de politique. Nombreux sont ceux qui vous reprochent d’avoir retourné la veste en vous rapprochant du président Ouattara alors que vous étiez proche de Laurent Gbagbo. Qu’en dites-vous?
Non non non. Lorsque vous dites retourner la veste, c’est comme si nous avions porté la veste de quelqu’un d’autre. Nous sommes artistes et nous représentons la Côte d’Ivoire. Et quand on représente tout un pays, on a le devoir d’avoir de la réserve et de la neutralité. Un artiste, c’est celui qui est impartial, c’est celui qui suit l’évolution de son pays. Laurent Gbagbo était un président de la République. En tant qu’artiste, nous ne suivions pas l’homme mais le président. Le nouveau président qui est arrivé du nom d’Alassane Dramane Ouattara, nous le suivons aussi. Si demain Alassane Ouattara n’est plus président et que c’est un autre, du fait que MAGIC SYSTEM joue au nom de la Côte d’Ivoire, nous allons le suivre. Même si c’est Laurent Gbagbo qui revient au pouvoir, nous n’allons pas hésiter à travailler avec lui en tant que président de la République. Quand on est artiste, on appartient au peuple et on ne peut que suivre le peuple. Voilà ce qui justifie notre position aujourd’hui. Ce n’est pas parce qu’on dînait avec Laurent Gbagbo qui nous a décorés qu’aujourd’hui, nous allons nous lever pour nous opposer aux excellents projets du président Alassane Ouattara. Nous serons toujours là, partout où besoin se fera sentir pour aider le pays. Dans ce genre de situation, il est souvent mieux de suivre ses idéologies que ses amitiés. Ça vous permet de prendre du recul pour mieux analyser les choses. Maintenant, ceux qui veulent penser ou croire à autre chose sont libres de le faire.
Etes-vous également proche de Dominique Ouattara?
Oui, très proche. Nous sommes même plus proches de Dominique que de Alassane Ouattara. C’est une femme, avant même d’être première dame, qui a toujours aidé MAGIC SYSTEM. C’est une dame qui n’a jamais hésité à se déplacer pour suivre un spectacle de MAGIC SYSTEM. L’amitié entre elle et nous existait pendant que nous soutenons Laurent Gbagbo. C’est pour vous dire que notre relation a commencé il y a bien longtemps avant que Dominique Ouattara ne soit première dame de la Côte d’Ivoire. Cela a fait jaser les gens qui croyaient qu’à la campagne du président Ouattara, nous composerions une chanson. Dominique Ouattara reste une marraine, une grande soeur pour MAGIC SYSTEM et c’est ce qui nous a poussé à répondre sans hésiter à la sollicitation du président Ouattara pendant sa campagne et après la crise.
Vous avez même composé un single pour elle?
« Childreen for africa », c’est le nom du single que nous avons fait pour la Fondation qui porte le même nom et non pas pour Dominique Ouattara même si cela consiste à la soutenir dans cette noble tâche et cette mission qu’elle mène depuis près de 15 ans. C’est une dame qui aide les enfants et nous aussi, nous travaillons dans le même sens ; c’est pourquoi nous avons composé la chanson pour l’aider dans sa lutte et pour faire savoir au monde entier qu’il y a une dame qui se préoccupe de l’avenir des enfants. Nous avons décidé que les droits des CD de ce single partent directement dans les fonds de la Fondation de Dominique pour servir à aider les enfants.
Donc, est-ce le domaine social qui vous a le plus réuni?
Je dirai oui. Si je me suis approché de Dominique Ouattara, c’était parce qu’en grande partie je voulais rentrer dans le domaine social avec mon groupe. C’est dans ce domaine que nous nous sommes rencontrés et jusqu’à présent, nous nous voyons sans protocole et nous parlons toujours du social. Je suis d’ailleurs content qu’elle nous apporte son soutien à sa manière pour l’organisation du FEMUA. Elle n’hésite pas à nous apporter un soutien financier et matériel et nous nous en réjouissons. Nous nous aidons mutuellement et ce ne sont pas des relations hypocrites comme certaines personnes peuvent le penser.
Lorsque vous avez participé à la caravane de la réconciliation l’année dernière, nombreux sont ceux qui n’étaient pas d’accord parce que vous avez pris un gros cachet. Comment avez-vous fait face à ces reproches?
J’ai été beaucoup écoeuré lorsque j’ai appris cela parce que nous avons consenti beaucoup de sacrifices en annulant toutes nos dates importantes au niveau de la France pour venir participer à cette tournée. C’est dommage que certains Ivoiriens se soient emportés lorsqu’ils ont entendu le côté financier qui, d’ailleurs n’a pas bien été expliqué aux Ivoiriens qui croyaient que tout ce magot pouvait aller dans la poche d’un groupe d’artistes.
Cette caravane a-t-elle porté des fruits?
Bien sûr que oui ! La caravane a porté des fruits et elle continue de porter des fruits. C’est vrai que les résultats ne sont pas visibles immédiatement mais à la longue, les gens sauront que cette tournée a beaucoup apporté dans la réconciliation des Ivoiriens. La réconciliation en Côte d’Ivoire est comme une maison en construction où chacun apporte sa pierre. Les artistes ont apporté les leurs, les religieux aussi. Il appartient maintenant aux hommes politiques et à la population de la Côte d’Ivoire en général, de se donner la main pour que nous puissions parvenir à la réconciliation.
Venons à votre carrière pendant laquelle vous avez obtenu 15 disques d’or, 3 disques de platine en 15 ans ; quel est votre prochain défi?
Nous ne nous focalisons pas seulement sur les récompenses. Nombreux sont ceux- là qui nous demandent le rêve que nous voulons encore réaliser. Je leur réponds que nous sommes déjà dans un rêve. Lorsque le disque d’or dépasse déjà le nombre d’année de carrière, naturellement il y a de quoi s’en réjouir. Mais cela ne doit pas nous emmener à baisser nos bras ou à dormir sous nos lauriers. Cela nous met la pression pour que nous travaillons davantage pour pouvoir aller plus loin.
Où en êtes-vous avec la préparation de votre 7e album?
Les choses avancent doucement. Nous sommes en train de préparer un album de 15 titres. C’est un album qui s’enregistre entre la Côte d’Ivoire pour la partie zouglou et la France pour la partie occidentale style MAGIC SYSTEM. Dans cet album, j’ai encore rendu un petit hommage au Burkina Faso en m’essayant au mooré. J’en ai décidé ainsi dans chaque album pour faire plaisir à mon père.
Et c’est pour quand la sortie de cet album?
L’album est prévu pour sortir au mois d’octobre 2013. Il se pourrait qu’on vienne au Burkina pour présenter officiellement l’album. Je ne promets rien mais nous allons essayer.
Il y a le groupe de rap burkinabè Yeleen, de qui vous étiez proche, qui s’est disloqué. Avez-vous essayé de faire quelque chose pour empêcher cette dislocation?
J’ai tout fait. S’il y a quelqu’un qui s’est impliqué à fond dans le règlement de ce conflit, c’est bien moi. Je me suis personnellement impliqué en rencontrant les deux protagonistes. Nous en avons parlé et j’ai essayé de les réconcilier. Mais comme toute réconciliation prend du temps, je garde espoir que ces deux-là reviendront ensemble. La paix peut se faire immédiatement mais pas la réconciliation qui met du temps. Je n’ai pas encore baissé les bras parce que je considère cette division comme temporaire. A chaque fois que je suis au Burkina, je parle à Smarty, Mandwoe aussi, nous nous rencontrons en France et je n’hésite pas à lui parler. Leur réconciliation est plus qu’une mission pour moi et si Dieu le veut bien, je vais y arriver. Ce sont des petits frères ; ils n’ont pas l’expérience de la vie que nous avons eue ; ce qui explique qu’il y ait certaines choses dont ils n’ont pas pu se surpasser. De toute façon, personne des deux ne pourra être plus fort individuellement. En tout cas, pas plus que lorsqu’ils étaient ensemble. C’était le groupe burkinabè le plus connu. Nous avons même accepté de faire un featuring avec eux parce qu’on a voulu donner un coup de main à un groupe qui se battait pour s’imposer. C’est dommage que c’est au moment où ils commençaient à émerger que cette dispute arrive. J’appelle cela une dispute parce que pour résoudre ce problème, il faut le minimiser.
Connaissez-vous les vraies raisons de cette dispute comme vous l’avez appelée?
Je connais bien les raisons. Je suis très proche du groupe. Les problèmes ont commencé depuis longtemps et chacun des deux me parlait. Et finalement, il y a eu une goûtte d’eau qui a fait déborder le vase. Toute chose qui a emmené cette séparation. Chacun des deux a essayé de m’expliquer donc je peux vous dire que je suis mieux placé pour connaître le fond du problème. Et c’est parce que je connais le fond du problème que j’ai dit que leur réconciliation est plus qu’une mission pour moi. J’avais vu le problème venir mais le fait que je n’ai pas pu l’éviter me met mal à l’aise et ma conscience me reproche quelque chose. Pour être tranquille, je ferai tout pour que Smarty et Mandwoe reviennent ensemble pour nous offrir leurs belles chansons.
Vous qui connaissez le fond du problème, pouvez-vous nous en parler?
Ce n’est pas à moi d’étaler le problème au public parce que le linge sale se lave en famille. Je n’ai pas envie de revenir là-dessus. La seule chose que je cherche à faire aujourd’hui, c’est de les réconcilier. Et pour réussir, il faut oublier ce qui s’est passé. J’espère qu’avant la fin de l’année, nous verrons les deux ensemble sur un plateau.
Mais quel est le secret de MAGIC SYSTEM qui est arrivé à plusieurs reprises à éviter la séparation?
Notre secret c’est le respect qu’il y a entre nous. Lorsque dans un groupe, chacun sait que l’autre est son grand frère et le respecte comme tel, il ne peut pas y avoir un grand problème. Chez nous, lorsque le grand frère que je suis parle, les autres ont une manière de m’écouter. A la différence des autres groupes, je ne suis pas le chef de groupe de MAGIC SYSTEM. Je suis l’aîné et en même temps le chanteur. Nous sommes une famille. Les gens ont essayé de nous diviser mais n’ont pas pu parce que tout simplement je suis l’aîné du groupe et j’ai su bien jouer mon rôle. Et si effectivement les autres ne me considéraient pas comme un grand frère, il y a bien longtemps que MAGIC SYSTEM a cessé d’exister. Le groupe Yeleen est composé de deux personnes et je pense qu’il était plus facile pour eux d’éviter la séparation que pour nous. Ils auraient pu être complices.
Smarty et Mandwoe ont à peu près le même âge. N’est-ce pas cela qui a compliqué les choses? Puisque l’un ne considérait pas l’autre comme son grand frère.
Ils ont à peu près le même âge mais ils ne sont pas nés le même jour. On peut s’en servir de la différence de jours pour imposer sa supériorité dans un groupe. Dans notre groupe, Goudé et moi, sommes nés la même année. Il n’y a qu’une différence de mois. J’ai 7 mois de plus que lui et il me respecte. Entre Manadja et Tino, il n’y a qu’une différence de 27 jours mais le respect y est. Manadja et Tino respectent Goudé, ce dernier me respecte et moi je les respecte tous aussi. Voilà ce qui fait la force de notre groupe. Dans notre groupe, personne ne cherche à voir le compte bancaire de l’autre, personne ne cherche à savoir l’autre roule dans quelle voiture ou dort dans quelle maison ou encore l’autre sort avec quelle fille. Quand on est un groupe et qu’on arrive à éviter ces choses, le groupe ne peut que s’éterniser.
Qu’avez-vous à dire à vos fans burkinabè pour terminer?
A nos fans du Burkina Faso, nous leur disons merci pour tout le soutien qu’ils ont apporté au groupe MAGIC SYSTEM durant ces 15 années de carrière. Lorsque nous venons au Burkina, il y a toujours le même engouement, le même enthousiasme, pas parce qu’il y a un membre du groupe qui a des origines burkinabè, mais parce qu’ils aiment notre musique. Cela nous apporte énormément du plaisir. Pour ceux que nous avons eu à offenser à travers certains de nos styles musicaux ou certains de nos textes, nous leur présentons nos excuses. Nous allons demander aux gens de prier pour que dans 100 ans, nous soyons toujours quatre jusqu’à ce que la mort nous sépare.