Que reste-t-il du Maliba?
Le Mali a célèbré, le 22 septembre 2014, le 54e anniversaire de son indépendance, et cela dans un contexte particulier. En effet, les négociations se poursuivent en Algérie entre le gouvernement et les groupes armés du Nord. Certaines déclarations du président Ibrahim Boubacar Keïta ont suscité des réactions d’incompréhension des groupes armés.
Le Mali de Ibrahim Boubacar Kéita (IBK) vient de souffler les 54 bougies de son accession à la souveraineté internationale. Cela fait, en effet, 54 ans que le Mali s’est libéré du joug colonial français, qu’il a pris en mains son propre destin. A l’époque, l’idée d’un grand Mali respectable et respecté partout dans le monde, faisait rêver. Mais que reste-t-il du Maliba tant rêvé ? Pas grand-chose à l’heure du bilan.
La souveraineté est un vocable creux
A l’instar de bon nombre de pays africains, l’indépendance du Mali va se révéler très vite une désillusion. En effet, ce sont des indépendances formelles dont les Etats africains ont bénéficié dans les années 60. Car, la réalité a très vite rattrapé les Africains. Ces indépendances « arrachées » et célébrées en fanfare, n’ont pas vraiment été assumées comme il se devait. La quasi-totalité des Etats concernés ne détiennent pas les attributs de leur souveraineté qu’ils étaient censés avoir acquis avec l’avènement des indépendances. Pour ne citer que le cas du Mali, on en veut pour preuve le recours à la France pour éviter la « disparition » de l’Etat.
Les héritiers du légendaire Soundjata Kéita, vaillant guerrier devant l’Eternel, se sont révélés terriblement incapables de protéger l’intégrité territoriale de leur pays, face à une attaque djihadiste. On a découvert à l’occasion, une armée en lambeaux. Face à ce péril, le pays n’a eu son salut que grâce à l’intervention de l’armée française appelée à la rescousse. Cela n’est pas digne du Grand Mali. Au plan économique et financier également, le Mali dépend encore de la générosité et du bon vouloir des bailleurs de fonds extérieurs. On ne parle même pas des problèmes de l’arrimage du F CFA à l’euro à travers la Banque de France, qui traduit une dépendance certaine. Beaucoup de ces problèmes, comme on l’a déjà souligné, ne sont pas exclusifs du Mali. L’ensemble des pays africains, notamment des ex-colonies françaises d’Afrique, se gargarisent d’indépendances formelles en ce sens que dans ces Etats, la souveraineté est un vocable creux parce qu’ils n’ont pas su se donner les moyens de l’assumer. Mais la particularité du Mali tient, entre autres, au fait qu’en plus de ces problèmes qu’il a en commun avec les autres Etats qui ont été sous domination française, il traîne depuis les 54 ans, l’épineuse question de l’indépendance touarègue comme un boulet au pied. On aura tout essayé ou presque.
La répression des indépendantistes avec Modibo Kéita et Moussa Traoré, l’effort de dialogue avec eux sous Alpha Omar Konaré et Amadou Toumani Touré. Toutes ces solutions n’ont visiblement pas été à la hauteur, car elles ont échoué à éradiquer les velléités cessessionistes des Touaregs du Nord-Mali. Aujourd’hui, plus que jamais, la question de l’Azawad se pose avec acuité. Les divergences de points de vue s’étalent au grand jour. Les Touaregs, avec le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) en tête, ne démordent pas de l’idée de se séparer du reste du Mali. Pour ce faire, ils ont travaillé à donner beaucoup d’écho à leur cause. Ils ont mis beaucoup de soin à convaincre l’opinion internationale de la justesse de leur cause. Ces indépendantistes ont plus conscience de leur besoin d’indépendance que les autorités de Bamako n’en ont de la nécessité de sauver l’intégrité territoriale du pays. En tout cas, le MNLA et les autres groupes qui défendent la cause de l’indépendance de l’Azawad, s’en donnent les moyens, contrairement à Bamako. Et il n’est pas exagéré de dire qu’aujourd’hui, on est plus proche d’une partition du Mali que de son unité.
Le problème du Nord-Mali mine les efforts de développement
Parce qu’en face de ces indépendantistes, IBK et son gouvernement ne semblent pas avoir le sens des urgences. En effet, comment peut-on expliquer cette manie de faire des dépenses somptuaires au moment où le pays est menacé dans son unité comme dans ses valeurs ? Comment peut-on comprendre que IBK, dès son entrée en fonction, n’ait pas eu de feuille de route claire sur cette question du Nord-Mali, qu’il aurait pu s’efforcer de mettre en branle ? A la décharge de IBK, on peut bien admettre que ses prédécesseurs n’ont pas vraiment posé les jalons d’une résolution définitive de ce problème. Pourtant, le Niger aussi qui avait un problème touareg, a pu le résoudre. Cela montre que c’est possible de parvenir à une solution durable à propos de cette question. Encore faut-il que le président malien se convainque qu’il a une lourde responsabilité dans cette affaire. C’est à lui qu’incombe la responsabilité d’amener les acteurs à trouver des solutions satisfaisantes. Mais cela exige de sa part des préalables au nombre desquels la nécessité d’un comportement exemplaire en matière de gouvernance et la capacité à convaincre les partenaires et soutiens que les rebelles défendent une mauvaise cause. Cela devait faire partie intégrante des priorités de son action.
La dernière sortie médiatique en date de IBK, n’a pas été du goût des délégations des groupes armés à Alger. On se demande comment il peut bien lancer des accusations comme celle relative à l’origine de la violation du cessez-le-feu à Kidal, le 17 mai dernier, qu’il impute aux groupes armés alors qu’on est en plein dans les négociations et que, de ce fait, on a besoin d’apaisement de part et d’autre. La question est sensible et IBK serait bien inspiré de ne pas oublier que, comme le dit en substance une sagesse, il faut savoir tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler. Surtout sur des questions aussi controversées. Le président malien doit rapidement revoir sa copie si tant est qu’il ne veuille pas que les Maliens regrettent de lui avoir fait confiance.
Le problème du Nord-Mali mine les efforts de développement tant et si bien qu’au moment où à côté de lui, des pays rêvent d’émergence, le Mali n’ose même pas y penser. L’horizon est bouché et les autorités n’ont même pas la tête à la conception de quelque programme que ce soit dans ce sens. Aucun Malien ne gagne à ce que le pays continue sur cette voie. Même les opposants d’IBK auraient tort de se réjouir des déboires dans lesquels il se trouve. Car, s’il devait persister dans ses mauvais choix, le chef de l’Etat continuerait de s’enfoncer et d’enfoncer le pays avec lui. L’heure n’est donc pas à la fête. Il faudra une réelle prise de conscience collective et la contribution de tous les enfants du Mali, pour résoudre la question du Nord-Mali. Il faut espérer que les discussions d’Alger puissent se poursuivre dans un bon esprit, en vue d’un compromis historique et salutaire pour le Mali.
Quant à la communauté internationale, il serait bien qu’elle continue, comme l’avait fait le Fonds monétaire international (FMI) au sujet de l’achat du nouvel avion présidentiel par IBK, à mettre la nécessaire pression sur ce président qui a jusque-là envoyé de trop nombreux signaux négatifs, pour qu’il améliore la qualité de sa gouvernance. C’est une condition sine qua non pour un retour des choses à la normale au Mali et cela constitue, pour le pays, un passage obligé pour espérer un jour parvenir à l’indépendance effective tant souhaitée.