Etudes en Italie, le mariage avec Danielle, doctorat en ingénierie au Polytechnique. Il est un des testimonials du Festival de la Migration de Modena: «Ce n’est pas facile d’être noirs».
En le voyant dans les couloirs de l’hôpital, les familles des patients l’apostrophent: «Infirmier, on voudrait parler avec le chirurgien». Il répond placidement: «Je vous en prie, vous pouvez me dire à moi». Et ils insistent plutôt agacés: «Ecoutez, infirmier, on voudrait parler directement avec le chirurgien». À ce point, Mistral, camerounais de 38 ans, manifeste la réalité: «Messieurs, c’est moi le chirurgien, vous pouvez me dire à moi». D’habitude la stupeur dure plusieurs secondes. Les parents des malades se zyeutent, chuchotent bouleversés. Puis ils se montrent confiants: «Excusez docteur, mais on ne croyait pas que c’était vous… ». Ils ne croyaient pas qu’il pouvait y avoir un chirurgien noir, noir comme lui: Mistral Njila. Noir et de surcroit docteur chirurgien. Chirurgien vasculaire à l’hôpital de Bolzano, depuis un an. Pendant 7 ans, il a travaillé à l’hôpital de Baggiovara, à Modena. Ses mains font des miracles, ouvrent et cousent les corps des italiens. Elles sauvent des vies. Idem pour sa femme Danielle, elle aussi camerunense, connue à Modena durant les années universitaires et ingénieur informatique, diplômée au Polytechnique de Milan. Le nez dans les ordinateurs, à gérer des programmes financiers. Et ça murmure comme si une femme africaine ne pouvait pas devenir ingénieur. «Ce n’est pas facile d’être noir et vivre en Italie. C’est frustrant, on se culpabilise d’une faute qu’on n’a jamais commise. Et le climat s’aggrave. Nous sommes préoccupés pour nos fillettes, Esther et Keren», racontent Mistral et Danielle.
Allez le raconter aux italiens sceptiques, combien de sacrifices ils ont fait pour atteindre ces niveaux professionnels. Mistral a toujours rêvé de faire le médecin. Depuis son enfance à Yaoundé, il eut des kystes à la main et le docteur africain le soigna avec dévouement. «Dès ce jour, j’ai fait de la médicine ma vie». Il rêvait de faire l’Université en Italie. Mais c’était très difficile d’avoir un visa. Même touristique. Les ambassades européennes demandent des garanties infinies, le revenu, les diplômes, les fidéjussions. Il avait un avantage parce qu’il avait eu le bac avec mention très bien. «Tant d’africains ne peuvent pas venir en Europe parce que les ambassades ne délivrent pas de visa à ceux qui se diplôment avec des votes médiocres». La dure sélection pour la forteresse Europe commence ainsi. Et puis, il y a les garanties économiques. «Mes parents organisèrent un récolte de fonds parmi les parents mettant de côté 2 millions de lires». C’était en 1999. D’alors, sueur et sacrifices. Les études forcenées, la passion pour la médicine, l’argent qui finit. «J’ai trouvé du boulot dans le rayon fruiterie d’un centre commercial». La bosse le jour, lesas la nuit. Et pareil pour sa femme, les fatigues quotidienne et les difficultés à se faire accepter. Partout des discriminations: «En queue à la poste, les clients me passaient devant comme si je n’existais pas. Et cette fois, à l’hôpital lorsque qu’une malade refusa de se faire prélever le sang par un docteur noir».
Le frère de Mistral s’appelle Pier, il a un doctorat en économie et il est administrateur dans l’association d’accueil des migrants «Porta Aperta» (Porte Ouverte) de Modena. C’est une des associations promotrices du Festival de la Migration, qui s’est tenu du 9 au 11 novembre, toujours à Modena. Pour Mistral et sa famille, ça a toujours été une manifestation de référence, importante pour centrer les droits des migrants et les raconter pour ce qu’ils sont. Pas seulement des réfugiés, des malheureux et des délinquants, mais aussi des médecins, des ingénieurs, des entrepreneurs. Comme justement la famille Njila, de l’Afrique à l’Europe, avec un rêve en poche. Devenu aujourd’hui réalité.