Bad luck! Mr Goodluck!
Goodluck Jonathan joue et perd, et accepte de perdre. C’est tout à son mérite. Le Nigéria vient d’ouvrir une page historique après une élection présidentielle libre et démocratique. Malgré la tension vive qui anime le pays avec les menaces de Boko Haram et la montée de la corruption, les Nigérians sont sortis massivement pour faire leur choix.
La Commission nationale électorale indépendante (INEC) a déclaré vainqueur le candidat du All Progressives Congress (APC). Le Nigeria a préféré le changement à la continuité. Muhammadu Buhari et son parti, le All Progressives Congress (APC) sont les grands vainqueurs du double scrutin présidentiel et législatif du 28 mars dernier. Pour la présidentielle, le général Muhammadu Buhari s’est imposé avec plus de 15 millions de voix contre près de 13 millions de voix au président sortant Goodluck Jonathan. Cette victoire est nette et sans bavure en fin de compte. L’écart entre Muhammadu Buhari et son challenger est de plus de 3 millions de voix. Ce résultat prend le contre-pied des prévisions de la plupart des observateurs et des Nigérians eux-mêmes, qui prédisaient un vote serré entre les deux principaux candidats. Toutefois, la notion de fief électoral a bien fonctionné. En effet, Goodluck Jonathan, le président sortant, a raflé la mise dans ses bastions du sud du pays, les États de Bayelsa et de Rivers notamment, tandis que Muhammadu Buhari a fait le plein des voix dans la totalité des Etats du Nord qui sont aussi les plus peuplés du pays.
Après trois tentatives manquées en 2003, 2007 et 2011, Muhammadu Buhari a enfin réussi à s’imposer. Musulman originaire de l’Etat de Katsina dans le nord, Muhammadu Buhari est un visage connu de la scène politique nigériane. Ancien militaire, il a dirigé le pays entre 1983 et 1985 à la faveur d’un coup d’Etat. Pendant ce laps de temps passé à la tête du Nigeria, il s’est bâti une flatteuse réputation d’homme discipliné et intègre. Mais pour s’imposer après ses premières tentatives infructueuses, il a surtout réussi à constituer autour de lui, une coalition de partis opposés au Peoples Democratic Party (PDP), qui a régné sans partage depuis le retour du Nigeria à la démocratie en 1999. Le général Buhari devient après le général Obasanjo, la 2ème personnalité à gouverner le Nigéria en tant que militaire puis civil. Le président élu a surfé sur la vague de mécontentement qui s’est emparée du pays depuis de longs mois à cause de l’insécurité et des exactions de la secte Boko Haram, mais aussi, du fait de la corruption endémique qui est décriée par la majorité des Nigérians.
Pour gouverner, Muhammadu Buhari ne sera pas seul. Il pourra s’appuyer sur son parti l’APC qui est en passe de remporter la majorité des sièges à la chambre des représentants. A la chambre basse du parlement, l’APC et ses alliés sont d’après les dernières projections en position de force. L’ancienne opposition était déjà majoritaire au parlement avec la défection de nombreux parlementaires du PDP, peu avant les élections. Toutefois, d’après les projections, au Sénat le PDP devrait rester majoritaire. Les électeurs nigérians tout en sanctionnant le régime sortant, n’ont donc pas signé un chèque en blanc à l’APC et ses alliés. Ce message est resté constant chez de nombreux électeurs. « Il nous faut essayer autre chose, d’autres compétences. Le PDP a montré ses limites. Mais si l’APC se montre incapable de satisfaire les Nigérians, nous allons le sanctionner», déclare Abubakari Aliyu, un universitaire qui se dit apolitique.
Dans les prochains jours, Muhammadu Buhari devrait prendre possession du palais présidentiel d’Aso Rock au terme d’un scrutin au cours duquel la tension est demeurée permanente. La lecture des résultats par l’INEC mardi après-midi en a encore administré la preuve. Peter Godsay Urubebe, un des représentants du PDP a ainsi vitupéré le président de l’INEC, l’accusant de partialité et de tribalisme. Cette scène diffusée en direct à la télévision a fait craindre une escalade au sein de l’INEC. Dimanche, des troubles avaient éclaté dans l’État de Rivers, où l’APC a accusé l’INEC et le PDP de fraude. Toujours est-il que d’une façon générale, les Nigérians sont restés sereins. Avant même que l’ensemble des résultats ne soit communiqué, le président sortant Goodluck Jonathan a téléphoné au général Buhari pour le féliciter.