N’empêche la pêche!
Les abondantes ressources naturelles de l’Afrique représentent une occasion unique d’améliorer considérablement la vie des citoyens africains, selon un important nouveau rapport présenté par M. Kofi Annan, ancien secrétaire général des Nations unies ; mais ces ressources sont trop souvent pillées par des fonctionnaires corrompus et des investisseurs étrangers.
Les abondantes ressources naturelles de l’Afrique représentent une occasion unique d’améliorer considérablement la vie des citoyens africains, selon un important nouveau rapport présenté aujourd’hui‘hui par M. Kofi Annan, ancien secrétaire général des Nations unies ; mais ces ressources sont trop souvent pillées par des fonctionnaires corrompus et des investisseurs étrangers. La hausse des inégalités empêche également l’Afrique de saisir cette opportunité, comme le montre le rapport. Le rapport 2014 de l’Africa Progress Panel, intitulé «Céréales, pêche et capitaux: financer la révolution verte et la révolution bleue de l’Afrique», invite les dirigeants politiques africains à prendre dès maintenant des mesures concrètes afin de réduire les inégalités en investissant dans l’agriculture.
Il réclame également une action internationale afin de mettre un terme à ce qu’il décrit comme le pillage des forêts et des océans du continent. La pêche illicite, non déclarée et non réglementée a atteint des proportions épidémiques dans les eaux côtières africaines. On estime que les pertes s’élèvent à 1,3 milliard USD par an, en Afrique de l’Ouest.
Au-delà du coût financier, ce pillage anéantit les communautés de pêcheurs en les privant d’opportunités essentielles en matière de pêche, de transformation et de commerce. L’Afrique perd également 17 milliards USD, à cause des activités illégales d’abattage dans les forêts.
«L’Afrique est une terre d’opportunités… les perspectives commerciales sont là, la croissance est là et la population est là», a affirmé Macky Sall, Président du Sénégal.
«Les familles vivent de la pêche depuis des générations… mais les stocks de poissons ont diminué. Nos revenus ont baissé. Avant, on pouvait épargner un peu pour payer les études de nos enfants ou réparer nos bateaux, mais aujourd’hui, on a de plus en plus de mal à joindre les deux bouts»,a renchéri Issa Fall, comité des pêches de Soumbedioune (Sénégal).
Ces deux points de vue émanent d’un même pays d’Afrique. Ils renvoient à deux perceptions bien différentes de la réalité. Le président Macky Sall évoque le plan d’investissement «Sénégal émergent» mis en place par son gouvernement, doté de plusieurs milliards USD et visant à moderniser les infrastructures du pays. Issa Fall raconte l’autre Sénégal: celui de dizaines de milliers de pêcheurs artisanaux, comme Issa Fall, qui exercent leur métier sur leurs pirogues, construites à lamain à partir de bois local. Pour eux, le gagne-pain quotidien est menacé.
Pourtant, l’océan qui borde l’Afrique de l’Ouest est l’une des zones de pêche les plus prolifiques au monde. Les prises sont en baisse pour les pêcheurs artisanaux, tout comme les revenus qu’ils en tirent, à cause de la pêche illicite, non déclarée et non réglementée, opérée par des flottes marchandes étrangères. Ces chalutiers proviennent de différents pays comme ceux de l’Union européenne, la Russie, la Chine et bien d’autres pays dits émergents.
Le Sénégal ne dispose pas de capacités suffisantes pour surveiller l’activité de ces flottes. L’arraisonnement le 23 décembre 2013 du chalutier multirécidiviste de la pêche illégale russe, Oleg Nayedov, par la marine nationale sénégalaise sonne-t-il le réveil de ce pays? En effet, ce chalutier de 120 mètres battant pavillon russe, avait déjà été arraisonné en 2011 et en 2012 par les autorités sénégalaises. Une amende lui avait alors été infligée, mais le navire avait pu reprendre sa course sans être davantage inquiété.
Selon une étude de l’US-AID, l’agence de coopération américaine, citée par la BBC, le Sénégal perdrait tous les ans 150 milliards CFA (près de 228,7 millions d’euros) du fait de la pêche illicite. Il n’existait pas de volonté politique manifeste de s’attaquer à ce problème. Les dirigeants sénégalais faisaient le jeu des intérêts privés et profitaient comme eux de la vente illégale de permis à des flottes étrangères.
L’expérience du Sénégal est symptomatique d’une situation plus générale. En Mauritanie, en Guinée Bissau, au Congo, de nombreux bateaux de pêche, battant pavillon de complaisance, pratiquent des pêches interdites par la réglementation internationale.
Profond gap
«Après plus de dix années de croissance, il y a matière à se réjouir. Mais il est temps de se demander pourquoi une telle croissance n’a que si peu contribué à sortir la population de la pauvreté, et pourquoi une si grande partie des richesses naturelles de l’Afrique est gaspillée dans des pratiques de corruption et des activités d’investissement peu scrupuleuses. L’Afrique est un continent d’une grande richesse, alors pourquoi la part de l’Afrique dans la malnutrition et les décès d’enfants à l’échelle mondiale augmente-t-elle si vite? Parce que les inégalités altèrent le lien entre la croissance économique et les améliorations en matière de bien-être», explique l’ancien Secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan.
Le revenu moyen a augmenté d’un tiers ces dix dernières années, selon les données fournies par le rapport. Le constat est que davantage d’Africains vivent dans la pauvreté aujourd’hui (environ 415 millions) qu’à la fin des années 1990. Les nouveaux objectifs mondiaux de développement viseront sans doute à éradiquer la pauvreté d’ici 2030, mais si les tendances actuelles se poursuivent, un Africain sur cinq souffrira encore de la pauvreté à cette échéance.
M. Annan, qui a joué un rôle central dans la définition des Objectifs du Millénaire pour le développement, affirme : «En souscrivant au nouveau cadre de développement mondial, les pays devraient s’engager non seulement à réaliser des objectifs ambitieux, mais également à réduire les écarts injustifiables qui existent dans la région entre les riches et les pauvres, entre les populations des zones urbaines et rurales, et entre les hommes et les femmes».
Les auteurs du rapport présentent l’agriculture comme la clé d’une croissance qui réduira la pauvreté. Ils soulignent qu’en Afrique, la plupart des pauvres vivent et travaillent dans des zones rurales, généralement en tant que petits exploitants agricoles.
« Les pays qui ont bâti leur croissance sur un secteur agricole dynamique, notamment l’Ethiopie et le Rwanda, ont démontré que le secteur rural pouvait être un puissant moteur de croissance inclusive et de réduction de la pauvreté », déclare M. Annan lors de la présentation du rapport.
Une agriculture autocentrée
Le rapport préconise une révolution verte 100 % africaine, qui adapterait les enseignements tirés de l’expérience asiatique aux réalités africaines. L’Afrique importe actuellement 35 USD de produits alimentaires, car l’agriculture locale est confrontée à une faible productivité, à un manque d’investissements chronique et à un protectionnisme régional.
Une hausse des investissements dans les infrastructures et la recherche pourrait augmenter de façon spectaculaire les rendements africains et les revenus des agriculteurs. De nouveaux marchés pourraient s’ouvrir si les gouvernements africains acceptent éliminer les obstacles qui limitent les échanges commerciaux à l’intérieur de l’Afrique.
Le rapport 2014 sur les progrès en Afrique incite également la communauté internationale à soutenir les efforts de développement de la région. Il montre que la pêche et l’exploitation forestière sont deux domaines dans lesquels les règles multilatérales doivent être renforcées afin de lutter contre le pillage des ressources naturelles.
«Le pillage des ressources naturelles est un vol organisé sous couvert de commerce. Certains chalutiers commerciaux opèrent sous pavillon de complaisance et déchargent leur pêche dans des ports qui ne consignent pas leurs captures, ce qui est contraire à l’éthique», affirme M. Annan.
Il ajoute que ces activités criminelles aggravent le problème de l’évasion fiscale et des sociétés-écrans. Le rapport 2014 sur les progrès en Afrique préconise un système multilatéral de gestion des pêches qui appliquerait des sanctions aux bateaux de pêche qui n’enregistrent et ne déclarent pas leurs captures.
Il invite également les gouvernements du monde entier à ratifier l’accord relatif aux mesures du ressort de l’Etat du port, un traité visant à empêcher les braconniers de décharger leurs captures illégales dans les ports.
Des pertes énormes injustifiées
Les dirigeants politiques africains ne sont pas parvenus à gérer les ressources naturelles dans l’intérêt de leurs véritables propriétaires, à savoir les citoyens africains.
En plus des pertes subies à cause du pillage des ressources naturelles et d’une mauvaise gestion financière, les Africains ne bénéficient pas pleinement de l’argent provenant de l’extérieur, que ce soit quand certains donateurs de l’aide ne respectent pas leurs engagements ou quand des membres de la diaspora africaine envoient de l’argent à leur famille en Afrique. On estime ainsi que le continent perd 1,85 milliard USD par an en raison des frais excessifs appliqués par les sociétés de transferts d’argent sur ces envois.
Les revenus tirés des ressources naturelles connaissent une importance croissante ; les gouvernements africains ont désormais la possibilité de mettre en place des systèmes d’imposition plus efficaces; de même, les dépenses de l’argent public devraient être plus équitables, ajoute le rapport.
Par exemple, 3% du PIB de la région Afrique est actuellement consacré à des subventions à la consommation d’énergie qui profitent principalement à la classe moyenne. Cet argent devrait être réaffecté à des dépenses sociales afin de donner aux populations pauvres de meilleures chances de briser l’engrenage de la pauvreté.
«Il y a en Afrique une résilience et une créativité extraordinaires. Nos jeunes, de plus en plus nombreux, sont énergiques. Nos entrepreneurs, très dynamiques, utilisent les technologies pour transformer la vie de la population. Nous avons suffisamment de ressources pour nourrir non seulement la population africaine, mais également celle d’autres régions. Il est temps pour les dirigeants africains (mais aussi pour les partenaires d’investissement conscients de leurs responsabilités) de libérer ce potentiel considérable», déclare M. Annan.