L’Afrique était l’invitée d’honneur de Paris Photo.
Quand le plus prestigieux salon de l’art photographique au monde invite l’Afrique, quelle Afrique se retrouve dans le viseur? Des photographes africains? Des galeries africaines? Des photographies qui montrent l’Afrique?
Au plus grand salon de l’art photographique au monde, il y avait une découverte majeure à faire: la photographie africaine. Elle ne vient pas forcément d’Afrique, ni de photographes africains. La 15e édition de Paris Photo avait le mérite de défier une réalité bien connue. Malgré l’inexistence de galeries sur la presque totalité du continent, il y a énormément de photographes prometteurs en Afrique. Sur 135 exposants issus de 23 pays, il n’y avait que quatre galeries africaines, toutes venues d’Afrique du Sud.
«Il n’y a pas une photographie africaine, mais des artistes. Chacun a un style, Notre salon est l’occasion de montrer l’exhaustivité de la scène africaine. Il ne s’agit surtout pas de montrer l’Afrique prise en photo au sens d’une vision illustrative. Ce sont des photographes issus du continent ou de la diaspora du continent dont on montre le travail. Et ce travail n’est pas à ghettoïser et à enfermer sous un label. Il est au contraire à mettre en relation avec les différentes pratiques et approches à travers le monde», souligne Julien Frydman, le directeur de Paris Photo.
«Pour moi, il n’y a pas de photographie africaine. Il y a des personnes qui voyagent et maintenant les photographes nés en Afrique voyagent autant à l’étranger qu’en Occident, comme les photographes occidentaux. Maintenant tout s’égalise», dit le français Philippe Bordas (50 ans), qui parcourt depuis une vingtaine d’années son Afrique « héroïque », à l’opposé de l’Afrique « victimisée » qu’on voit habituellement en photo. Co-auieur avec le photographe Sidiki Traoré d’une série époustouflante qui capte les Chasseurs du Mali en habit de Moyen Age avec des hyènes en laisse, des serpents sur les épaules ou devant une tête de biche empaillée. Ces photos valent aujourd’hui entre 3.500 et 10.000 euros.
Pascal Martin Saint Léon de la galerie de la Revue noire se montre résolument convaincu en exposant fièrement 50 photographes africains allant du trésor vivant Malick Sidibé, né en 1936 au Mali, jusqu’aux jeunes artistes d’aujourd’hui: Alain Polo, né en 1985 à Kinshasa, qui esquisse des fragments d’un autoportrait, Dorris Haron Kasco, né en 1966 à Abidjan, qui poursuit Les Fous d’Abidjan et Joel Andrianomearisoa, né en 1977 à Madagascar, qui joue plutôt avec des doubles de lui-même.
«Le face-à-face Nord-Sud, Afrique-Europe ou Afrique-Occident, est passé, proclame Pascal Martin Saint Léon. La plupart des jeunes artistes vont plus facilement en Asie ou en Amérique latine, surtout au Brésil à cause des liens historique profonds. Le rapport n’est plus Nord-Sud. L’Afrique à la fois regarde et s’intègre à l’ensemble du monde. Les photos de Joel Andrianomearisoa ont été prises à Istanbul, d’autres à Bamako, d’autres en France, d’autres à Madagascar ou à New York. Il n’y a plus cette limitation, il n’y a plus ce face-à-face frontal. Cette époque est finie ou sur le point de se terminer. »
Néanmoins, le seul pays africain capable, pour l’instant, d’envoyer une galerie à Paris Photo est l’Afrique du Sud. La Gallery MoMo de Monna Mokoena à Johannesbourg est l’une des quatre galeries qui démontrent la vivacité de la création et la réalité d’un marché sud-africain. Depuis 2003, MoMo ne défend pas un éventuel passeport africain mais le message universel des jeunes artistes.
«Ici vous voyez une oeuvre d’Ayana V. Jackson. Elle est Américaine mais elle vit depuis 7 ans en Afrique du Sud. La réflexion dans sa photographie contient à la fois l’histoire de la route de l’esclavage et ses liens vers l’Afrique. Mais en même temps, elle utilise une autre métaphore et une autre iconographie: les images de la guerre au Vietnam ou le lynchage des noirs aux Etats-Unis pendant la ségrégation raciale. Le Congolais Sammy Baloji habite à Bruxelles. Il montre des atrocités que les Belges ont commis pendant la colonisation en Afrique. Sammy mixe ce sujet avec des paysages contemporains. Ainsi, il montre que jusqu’à aujourd’hui le pillage continue au Congo. Il regarde le passé et parle ainsi du présent», explique Monna Mokoena.
L’Afrique doit investir dans ses propres artistes. Jusqu’à aujourd’hui, il n’y a aucun photographe africain dans le Top 10 des photographies les plus chères, dominé par les Américains et les Allemands comme Cindy Sherman, Richard Prince ou Andreas Gursky. Quand entrera le premier Africain dans le Top 10 ?
«Quand l’Afrique commencera à investir dans ses propres artistes et développera leurs valeurs pour obtenir ces prix-là. Nous n’attendons pas que les Européens fassent ce travail pour nous. Nous Africains devons soutenir et obtenir ce niveau de prix», avance Monna Mokoena avec un grand sourire.
A Paris Photo, les tirages africains les plus chers plafonnent entre 45 000 et 70 000 euros.