«Win vouka» ou le coup K.O! Roch Marc Kaboré a remporté l’élection présidentielle au Burkina Faso avec 53,49 % des voix, au premier tour organisé dimanche 29 novembre, a annoncé, mardi 1er décembre, la commission électorale nationale indépendante (CÉNI). La victoire de cet ancien premier ministre de Blaise Compaoré, passé dans l’opposition, représente un moment particulier pour ce pays d’Afrique de l’Ouest, quasiment toujours gouverné par des personnalités arrivées au pouvoir par la force depuis son indépendance de la France en 1960. Acclamé par plusieurs milliers de personnes réunies devant le siège de son parti, M. Kaboré a déclaré à ses partisans : « Nous devons nous mettre au travail immédiatement. C’est tous ensemble que nous devons servir le pays. Aux jeunes, aux femmes et aux anciens ». Son plus sérieux rival, Zephirin Diabré, a remporté 21,65 % des suffrages et a reconnu sa défaite quelques minutes avant l’annonce de la CÉNI. Il s’est déplacé en personne au siège du parti de M. Kaboré pour le féliciter. Les deux hommes se sont serré la main avant de s’entretenir en privé. Un bon vivant Homme de consensus, mais aussi taxé d’opportunisme par ses adversaires, Roch Marc Kaboré a su rassembler aussi bien des anciens du régime que ses opposants, les paysans d’un pays très rural mais aussi les citadins des grandes villes, Ouagadougou et Bobo-Dioulasso. Cadre du système de Compaoré et ancien dirigeant du parti de l’ancien président – resté vingt-sept ans au pouvoir avant d’être chassé par la rue en octobre 2014 –, M. Kaboré est perçu comme « intelligent et cohérent » mais aussi comme un homme d’appareil reconnu pour ses qualités d’organisateur. Il est issu de l’ethnie majoritaire Mossi (53 % de locuteurs) mais catholique pratiquant dans un pays à majorité musulmane (60 %). Cet ancien banquier de 58 ans au physique imposant, souvent habillé en boubou, est un personnage affable et modéré « sachant écouter » et adepte du consensus. Si ses détracteurs l’accusent de manquer de poigne, il est décrit comme un bon vivant par ses proches. Fils de ministre, « né avec une cuiller d’argent dans la bouche » pour ses détracteurs, Roch, comme on l’appelle le plus souvent, a toutefois adhéré jeune à des idéaux de gauche, s’engageant après son retour d’études en France, à Dijon, à l’Union de lutte communiste-reconstruite (ULC-R). Il profite de l’accession de Thomas Sankara, le père de la révolution d’inspiration marxiste pour devenir directeur de la Banque internationale du Burkina (BIB), avant même son trentième anniversaire. Après l’assassinat de Sankara en 1987, Compaoré prend le pouvoir et Roch accomplit une carrière fulgurante auprès du « Beau Blaise ». Plusieurs fois ministre, il devient un des personnages clé du régime occupant les fonctions les plus prestigieuses comme premier ministre – période pendant laquelle il gère la dévaluation historique du Franc CFA – ou président de l’assemblée nationale. Il ne néglige pas les postes stratégiques comme président du Congrès pour la démocratie et le Progrès (CDP), le parti-état qui remporte tous les scrutins et dont on dit qu’il « gère le pays ». C’est le temps du « tuuk giili » (« rafle tout » en langue mooré). Disgrâce et tremplin Considéré comme le plus probable successeur de Compaoré, M. Kaboré a même été en 2010 un des initiateurs du projet de révision constitutionnelle qui devait permettre à Compaoré de briguer un nouveau mandat, mais qui sera finalement à l’origine des journées d’insurrection d’octobre 2014 et l’écroulement du régime. En 2012, Roch tombe brutalement en disgrâce pour des raisons obscures et se retrouve confiné au rang de « conseiller politique » du parti. Il claque ensuite la porte en janvier 2014 pour fonder le Mouvement du peuple pour le progrès (MPP) avec d’autres anciens caciques du régime. Cette disgrâce sera son tremplin. Aujourd’hui, il défend que « la social-démocratie est la voie pour le développement » tout en fédérant derrière son MPP une vingtaine de petits partis d’obédience socialiste et même un parti sankariste. Disposant de moyens colossaux, il a été omniprésent pendant la campagne et a su faire fructifier son image de rassembleur et d’homme d’expérience. «Nous avons l’expérience de l’ancien système et nous savons comment améliorer les choses », dit-il tout en assurant être « en rupture totale avec l’ancien système». Mais Bassolma Bazié, secrétaire général de la Confédération générale du travail du Burkina (CGT-B), principale centrale syndicale du Burkina, reste sceptique: « Roch a occupé de hauts postes auprès de Compaoré. On ne peut pas dire qu’il n’est pas comptable du régime. Compaoré avait une ligne politique social-démocratie et Roch est resté dans la même logique, de ce point de vue on ne peut pas s’attendre à un changement quelconque. » Le nouveau président, lui, promet de s’attaquer au chômage des jeunes, endémique dans le pays, de moderniser le système de santé promettant notamment la gratuité des soins pour les moins de 6 ans, et de mettre l’accent sur l’éducation.