Quelques jours après être devenue championne olympique à Rio, Ruth Jebet s’était également adjugée, au successif meeting de Paris, le record du monde du 3000 mètres steeple (8’52’’78),. L’ex Kenyane ramenait ainsi à son nouveau pays, le Bahrein, une moisson exceptionnelle.
Ruth Jebet et son entourage n’ont visiblement pas l’art des prévisions. La nouvelle championne olympique du steeple l’avait annoncé haut et fort avant le meeting de Paris, que ce serait à Zurich le 1er septembre qu’elle aurait tenté d’éclipser ce record du monde qu’elle n’avait laissé échapper que pour une toute petite seconde dans la finale olympique. Mais la superbe soirée parisienne a brouillé toutes les cartes. Ruth Jebet a torpillé le record du monde de 7 secondes, gommant la marque de la Russe Galkina de 8’58’’8’ pour l’amener à 8’52’’78. Cette énorme progression surprend. L’athlète et son manager, Marc Corstjens ne le dissimulent ni l’un, ni l’autre: ce n’est pas à ce niveau qu’elle était attendue et qu’elle s’attendait elle-même…
Son manager belge l’avoue, c’est plutôt un gain de 1 à 2 secondes qu’ils avaient pronostiqué. Et il explicite: «7 secondes, c’est une grande surprise ! A Rio, elle a pensé qu’elle avait gagné, elle a fait les derniers 50 mètres moins vite. Ici, elle a tout fait jusqu’à la fin».
C’est la consigne qu’il lui avait donnée avant la course, ainsi que celle de respecter une tactique semblable à celle de Rio: «Un 2ème km couru très très vite. Aujourd’hui, le plan était de courir le 2ème kilomètre très vite, mais plus tard. Là, elle a couru très vite 3ème et 5ème tour, elle a pris beaucoup d’avance», expliqua-t-il alors.
Premier record du monde pour le Bahrein
Ruth Jebet a rapporté ainsi au Bahrein son premier record du monde, douze jours seulement après son premier titre olympique. Ce succès ramène sur le devant de la scène les questionnements autour de son changement de nationalité. Un sujet qui irrite particulièrement Marc Corstjens… Le manager qui évolue au sein de Personnae, la branche management d’athlètes du groupe Golazo, n’apprécie pas franchement les questions sur ce sujet, et préfère les renvoyer vers Ruth Jebet.
Celle-ci n’élude pas, mais ses réponses varient. Aux JO, elle explique ainsi à la presse avoir quitté le Kenya pour éviter le couperet des qualifications du Kenya, avec beaucoup de rivales potentielles sur sa discipline. Mais sa biographie diffusée par l’IAAF donne une autre version: elle aurait fait ce choix pour bénéficier d’une scolarité gratuite. C’est la raison qu’elle a avancé d’ailleurs dans la zone mixte du Stade de France: elle suivrait au Bahrein des cours dans le domaine des soins aux animaux.
Championne du monde junior en 2014
Les dates s’entrechoquent, Ruth Jebet parle d’une scolarité débutée à 19 ans, il y a 3 ans, mais officiellement, elle fêtera ses 20 ans en novembre prochain. Les informations autour de sa carrière apparaissent toutes aussi emmêlées. Son manager évoque un début dans l’athlétisme, il y a 10 ans, un titre mondial junior, il y a 4 ans, mais c’est en réalité en 2014, à Eugene, qu’elle est sacrée championne du monde du steeple. Antérieurement, il ne figure que des références 2013, avec une double victoire aux championnats scolaires du Kenya sur 3000 et 5000 m, un record sur steeple de 9’40’’, et sur 5000 m de 16’16’’.
C’est cette année-là qu’elle opte pour la nationalité du Bahrein, mais elle devra patienter une année pour que l’IAAF l’autorise à porter les couleurs de son nouveau pays. Ses premières victoires, dans les championnats asiatiques et arabes lui seront ainsi retirées, et elle ne pourra vraiment honorer sa nouvelle patrie qu’au Mondial junior.
Dans la saison 2015, elle ne brille pas, son manager le justifie par un problème de blessure, et une chute en finale du mondial de Pékin, qui la relègue à une très mauvaise 11ème place. Elle pointe alors en 9’21’’, et n’est que la 12ème mondiale. Malgré tout, Marc Corstjens décide de bâtir son entraînement hivernal autour d’un double objectif, une médaille d’or aux JO et le record du monde…
Sous la houlette de quels coachs? Marc Corsjtens nous cite deux noms, Kilouzo et Saeed. Mais après s’être entretenu avec Ruth Jebet, il préfère supprimer le nom de Saeed, et se référer seulement à Gregory Kilouzo, un entraîneur kenyan, qui la suit en permanence.
Une grande fête d’abord au Kenya, puis au Bahrein
Citoyenne du Bahrein ou pas, Ruth Jebet demeure finalement dans son pays une Kenyane. La preuve avec la belle réception que lui a offerte Eldoret à son retour des JO. Car c’est bien vers le Kenya qu’elle s’est dirigée immédiatement après sa victoire olympique. On lui a offert le Sinende, le collier traditionnel et fait boire une calebasse de Murzik, le lait caillé, en respect de la tradition réservée aux champions du Kenya. Son père n’a pas dissimulé combien il remercie sa fille, expliquant qu’elle lui a acheté des terres, des vaches, et construit une maison depuis qu’elle est devenue Bahreinienne.
Ce record du monde se concrétisera avec un sacré pactole. 50.000 dollars du meeting de Paris, une prime de la part de Nike, et un bonus décerné par le Bahrein. Le chiffre de 500.000 dollars circule… Dès le lendemain du meeting de Paris, Ruth Jebet mettait le cap vers Manama, la capitale, pour une réception officielle au Palais Royal, honorant les deux médaillées olympiques, avec Eunice Kirwa en argent sur le marathon. Mais comme le souligne Marc Corstjens: «Elle ramène une surprise en plus, le record du monde»
Le prince royal a certainement apprécié…