Pour la réconciliation rwandaise!
Après Nimrod, Kossi Efoui, Florent Couao-Zotti et Emmanuel Dongala, la Rwandaise Scholastique Mukasonga a été sacrée lauréate 2012 du Prix Ahmadou Kourouma pour son livre «Notre-Dame du Nil» paru chez Gallimard.
C’est la surprise de la saison des prix littéraires en France. Personne ne l’attendait, même pas elle-même. Scholastique Mukasonga a reçu le prix Renaudot 2012 pour Notre-Dame du Nil. Dans ce roman très riche, on parle entre autres de religion, de colonialisme, de tradition, de sorcellerie, de féminisme, d’histoire et de politique. On y parle peut-être de l’être humain tout simplement. Entretien.
Comment avez-vous appris que vous étiez la lauréate du prix Renaudot 2012 ?
Je l’ai reçu très rapidement, dans la seconde même. J’étais comme dans un rêve réveillé. Très rapidement, il y a quelque chose qui s’est affichée dans ma tête, c’est de dire que le destin ne peut pas être définitivement sombre. Quand on est optimiste, quand on ne baisse pas les bras, quand on reste debout, et surtout moi, quand on est dans le statut de représenter et de vivre au nom de ceux qui sont partis injustement, il y a quelque part, à un moment donné, une reconnaissance, une justice. Donc le prix Renaudot, bien sûr que j’y avais compté et j’avais eu du mal à faire le deuil…
Quand vous avez disparu de la sélection ?
Exactement. Vraiment, je n’y arrivais pas. Je gardais toujours un pincement au coeur parce qu’il y avait tous les éléments nécessaires pour que Notre-Dame du Nil soit reconnu. C’est une grande reconnaissance parce qu’il avait vraiment été reçu par la critique, la maison Gallimard avait confiance en cette reconnaissance. Nous avons fait tout ce qu’il fallait pour que j’arrive à cette reconnaissance. Et puis malheureusement en effet, je n’y étais pas sur la deuxième liste.
Et puis surprise divine, vous avez le prix !
Tout à fait. Je vous avoue qu’au fond de moi-même, même si j’ai mis du temps pour arriver à me rendre compte que je ne suis plus du tout sur la liste du Renaudot, au fond de moi-même, je me suis dit : Notre-Dame du Nil sera reconnu en tant que Notre-Dame du Nil ou alors par le biais du prochain livre qui va quand même révéler qu’on a peut-être manqué quelque chose.
Notre-Dame du Nil, c’est le nom d’un lycée qui est tout proche de la source du Nil et de la statue du même nom. Erigé en 1953, c’est un lycée catholique, un internat d’excellence pour jeunes filles. Cet établissement est fréquenté par les enfants de la meilleure société rwandaise que leurs parents veulent protéger des tentations de la ville. Et en fait, ce lycée c’est une gigantesque hypocrisie ?
Malheureusement. C’est pour cela que j’ai choisi d’écrire les années 1970 que je connais en tant que jeune fille. J’avais l’âge des personnages fictifs du livre, car nous sommes dans un roman. Ce sont des jeunes filles qui ont à peu près l’âge que j’avais à cette époque. Ce sont les années où la montée de la haine et la détermination d’aller jusqu’au bout de l’éradication des Tutsis ont montré vraiment des signes. C’étaient des signes avant-coureurs du génocide.
Ces signes-là, on les sent dans les conversations entre lycéennes qui sont autant d’histoires sur la réalité du Rwanda de l’époque, sur la vie quotidienne, sur les conflits ethniques en germe. On se rend compte, petit à petit, au fil des pages, que la machine infernale se met en marche et que la catastrophe se profile ?
Exactement. Le lycéeNotre-Dame du Nil est quelque part un recoupage. Tout roman parle des éléments autobiographiques. Après on va plus loin. C’est çà la différence avec les trois premiers livres autobiographiques. Donc j’avais une liberté d’expression. J’avais la distance nécessaire. Je ne suis plus du tout le témoin du dedans. Avec cette distance, je deviens le témoin du dehors avec toute la force, la lucidité et l’objectivité qui m’ont donné justement la possibilité d’observer les choses et de mettre en scène les choses. C’est-à-dire qu’il y a l’hypocrisie totale. On dit, nous sommes dans un lycée d’élite féminine. Comme le dit le discours de la Mère supérieure « Vous êtes là pour représenter la promotion féminine ». Mais au bout du compte, il y a beaucoup plus de place politique. D’où le personnage de Gloriosa qui, petit à petit, n’assiste même plus aux cours. Son projet de tous les jours, qui devient un projet grandissant, c’est de préparer la carrière politique et de préparer l’éradication des Tutsis dans le lycée.
Donc de défendre le peuple majoritaire, les Hutus. Gloriosa est une lycéenne qui est fort en gueule, une sorte de relais de la propagande officielle. Au début du livre, il a aussi Fontenaille, un Blanc, planteur de café, qui a l’air assez inquiétant. Dans ce livre, on voit aussi les stigmates de la colonisation. Est-ce que, d’une certaine façon, la colonisation et les colons portent une part de responsabilité dans ce qui s’est passé au Rwanda ?
Ce n’est pas quelque part. C’est entièrement.
Entièrement ?
Oui. C’est pour cela que j’ai écrit Notre-Dame du Nil. Je n’étais pas certaine au départ quand j’ai commencé les premières pages, mais au bout du compte, au fond de moi-même, comme tous les Rwandais, tous les rescapés survivants, on sait bien que ce sont des choses qui ont été faites, des actes ont été posés par les Rwandais eux-mêmes. Ce sont les Rwandais qui avaient les machettes, mais la création de la division vient de l’extérieur. Qu’est-ce que je recherche dans l’écriture de Notre-Dame du Nil ? Je recherche à m’inscrire dans la réconciliation du peuple rwandais. Malheureusement, tous les Rwandais, bourreaux comme victimes, nous avons été trompés, nous avons été manipulés.
A un moment donné, on se trouvait coincés dans des choses où on nous a parqués. Donc on a créé la création des Hutus et des Tutsis. Les mots existaient. Mais la création de la division vient de l’extérieur. Il y a aussi la création de la carte d’identité ethnique en 1930. Qui a créé cette carte d’identité ? C’est le colonisateur belge qui était en place. Ce jour-là, on a créé un fossé. On a mesuré les crânes, on a mesuré la longueur du nez et on a tiré des conclusions que le Tutsi est complètement différent du Hutu et qu’il vient d’ailleurs. D’où le personnage de Fontenay qui parlait des pharaons noirs.