C’est pas du BIDule!
Interview au Directeur de recherches à l’Institut Fondamentale d’Afrique Noire (Ifan), Khadim Mbacké, qui vient de publier «Le parcours d’un arabisant de Touba», milite, depuis de nombreuses années, pour le développement de l’enseignement arabo-islamique au Sénégal. Il évoque les progrès enregistrés, relève des réformes à faire et donne une bonne nouvelle : la Banque Islamique de Développement (BID) s’engage à mettre 14 milliards CFA pour la promotion de l’enseignement de l’arabe au Sénégal.
Comment se porte l’enseignement arabo-islamique au Sénégal?
Relativement bien. Au cours des dernières années, on a noté une évolution positive dans l’enseignement arabo-islamique traditionnel dispensé dans les «daaras» (écoles coranique) et institutions privées. Les «daaras» se sont modernisés. Leurs moyens se sont accrus. Les résultats se sont beaucoup améliorés. Le «daara» de Coki, qui est devenu un institut, est un bel exemple. Des milliers d’enfants du Sénégal et des pays de la sous-région fréquentent cet établissement qui dispose de locaux adaptés et de professeurs formés à la Faculté des Sciences et Technologies de l’Education et de la Formation (ex-Ecole normale supérieure) et dans des universités arabes. Les équipements aussi se sont améliorés. D’autres établissements ont connu le même cheminement. Par conséquent, je peux dire que l’enseignement arabo-islamique s’est beaucoup développé.
Est-ce que cette courbe positive a été enregistrée dans les écoles publiques?
Dans les écoles publiques, on a aussi enregistré des avancées considérables. Le personnel enseignant a augmenté. Les moyens pédagogiques ont été renforcés aussi. Tout le monde a salué la création des écoles franco-arabes. Ce sont des écoles à option, mais où on enseigne sérieusement l’arabe. En plus des deux langues (le français et l’arabe), les élèves y apprennent l’islam. Ce qui est intéressant, c’est que l’enfant, qui fréquente ces écoles, peut poursuivre son cursus dans les collèges, lycées et même dans les universités et grands instituts. A côté de ces écoles franco arables, il y a les écoles coraniques modernes créées, elles aussi, par l’Etat. C’est dire que des progrès ont été faits.
Ces progrès ont-ils réglé le problème de l’accès et de la qualité?
Loin de là. Le nombre d’établissements est loin d’être suffisant. Il y a toujours une demande en matière d’éducation qui n’est pas satisfaite. Beaucoup de parents cherchent en vain des écoles où leurs enfants peuvent apprendre l’arabe et l’islam. L’accès reste, donc, un défi à relever. Des réformes, plus que nécessaires, sont fondamentales pour répondre à la demande des parents et aux besoins des élèves. Dans les écoles arabo-musulmanes privées, concurrence oblige, beaucoup de réformes sont entreprises. Elles sont relatives aux infrastructures, à l’administration, mais aussi, et surtout, au contenu pédagogique. Dans le public aussi, une réforme est en cours. Elle vise à renforcer l’enseignement arabo-musulman dans les écoles publiques. La lenteur constatée dans sa matérialisation s’explique, en partie, par la non implication de certaines forces sociales, notamment les marabouts. Voilà pourquoi, l’Etat ne fait pas ce qu’il aurait pu faire en faveur de l’enseignement arabe.
Vous avez écrit un ouvrage sur cet enseignement. Avez-vous le sentiment que vos conclusions ont aidé à faire bouger les choses?
Au Sénégal, force est de constater que l’enseignement arabo-islamique est, avant tout, une affaire des populations. Celles-ci considèrent que, sans cet enseignement, il ne peut y avoir d’islam. Malheureusement, les structures créées par les populations souffrent de beaucoup de problèmes. L’enseignement dispensé ne répond pas aux besoins. Il est archaïque, car centré sur la mémorisation du Coran. Le cadre n’est pas approprié et les méthodes pédagogiques non plus. Cet enseignement mérite d’être réformé. Dans mes travaux, je propose la création d’écoles coraniques modernes. L’idée est de doter chaque communauté rurale d’une école de ce genre. Le financement de ces écoles modernes devrait être assuré, d’une part, par l’Etat et, d’autre part, par les populations et la Oumah, à travers la Banque Islamique de Développement (BID).
Quelle est la particularité de ces écoles?
Elles ne se contentent pas d’enseigner le Coran. Toutes les matières que l’on trouve dans les écoles publiques y sont enseignées. Je veux dire que l’enseignement du Coran n’occuperait qu’une partie des activités des élèves. Ce qui fait que l’élève qui sort de cette école pourrait parfaitement poursuivre ses études dans les collèges et lycées publics.
Est-ce que vos propositions ont été suivies?
Non. Quelques progrès ont été enregistrés, grâce à l’appui de la Bid. Mais, tout le monde peut constater que les problèmes restent à l’état. Les colloques et séminaires se suivent et se ressemblent.
Ils sont sans effet. Le Sénégal aurait pu enregistrer d’avancées significatives dans l’enseignement arabo-islamique si mes recommandations ont été suivies. Mais, hélas, comme dans beaucoup de secteurs, l’Etat se limite aux bonnes intentions.
Vous parlez de réformes, mais le problème ne réside-t-il pas dans le manque de moyens?
Des possibilités de financement existent. La banque islamique de développement (Bid) est très engagée en faveur de l’enseignement arabo-islamique dans les pays africains non arabe. Elle ne rate aucune occasion pour rappeler sa disponibilité. Lors de la conférence de la Oumah, en 2011, à Dakar, le président de cette banque s’était engagé à mettre à la disposition du Sénégal 29 millions USD, soit environ 14 milliards CFA. L’enveloppe devrait être utilisée pour la création d’une Fondation qui s’occuperait exclusivement de la promotion de l’enseignement islamique de base (le Coran et l’enseignement religieux). Un protocole d’entente a été signé même entre le président de la BID et l’Etat du Sénégal, à travers l’ex-ministre Conseiller, Bamba Ndiaye.
Qu’est-ce qui retarde le décaissement de cette enveloppe?
Il y a eu un désaccord entre le gouvernement du Sénégal et la Bid. Cela a, du coup, retardé la mise en place de la fondation. Le Sénégal ne voulait pas d’une fondation, préférant que les 14 milliards de francs Cfa soient utilisés pour renforcer les acquis enregistrés dans le cadre de la création du réseau d’écoles franco-arabes. Tout le contraire de la Bid qui maintient que cette somme devrait être exclusivement utilisée pour promouvoir l’enseignement du Coran et de l’islam. C’est, pour moi, l’occasion d’interpeller les nouvelles autorités qui doivent se rapprocher de la BID. Je reste persuadé que le Sénégal a besoin de cette fondation. Elle serait très bénéfique pour une frange importante de Sénégalais qui veulent que leurs enfants maîetrisent le Coran et l’islam.
Qu’est-ce qui explique le succès des daaras dans une ville comme Touba?
C’est vrai qu’à Touba, on enregistre, aujourd’hui, beaucoup d’écoles coraniques. Leur succès est incontestable. En revanche, l’école publique moderne (française) n’est pas rejetée. Il se trouve simplement que les populations sont réticentes quant à leur implantation. Ces écoles ne prennent pas en compte les préoccupations religieuses des populations. Celles-ci préfèrent une école franco-arabe d’excellence qui dispense aussi bien l’enseignement religieux que l’enseignement moderne.