Soudain… du rififi au Soudan?
Les relations entre les deux Soudans se sont dégradées en l’espace de quelques semaines, alors qu’au sein de l’Union Africaine (UA) et de l’Organisation des Nations Unies (ONU), les diplomates n’ont pas cessé de chercher les solutions qui sauvegarderaient les intérêts des peuples de ces deux pays.
Le pic des tensions a été enregistré, mardi 11 juin, lorsque le controversé président soudanais, Omar El-Béchir, a ordonné officiellement la fermeture des oléoducs au pétrole sud-soudanais dans une soixantaine de jours. Cette annonce a provoqué un coup de tonnerre dans le milieu énergétique local et au sein des compagnies internationales qui exploitent les champs pétroliers qui sont toujours l’objet de discorde entre Khartoum et Juba. Cette décision purement «politique» de Khartoum a été reçue avec diplomatie par les nouvelles autorités de Juba, accusées par le régime d’El-Béchir de soutien aux rebelles qui sévissent dans le Nil Bleu et les autres provinces frontalières avec le Sud-Soudan.
Même si certains observateurs doutent de la volonté du Soudan à mettre en œuvre cette décision pour faire pression sur son voisin du sud, en raison de l’impact économique négatif que pourrait subir Khartoum, cela risque surtout d’affecter les compagnies asiatiques, à leur tête les entreprises pétrolières chinoises.
Pour rappel, depuis la proclamation officielle de l’indépendance du Soudan du Sud, en juillet 2011, Khartoum a perdu 75% de sa production pétrolière, ce qui a provoqué un réel déséquilibre dans sa balance économique et engendré des tensions sociales que le pouvoir à Khartoum a réprimé, loin des regards des médias étrangers (surtout occidentaux), pourtant assoiffés de ce genre d’informations pour déstabiliser les gouvernement des pays sous-développés à travers le monde.
«98% des revenus du Soudan du Sud dépendent du pétrole. Mais la production de pétrole sud-soudanaise a été bloquée pendant pratiquement un an, de 2012 jusqu’au mois dernier environ. Pendant cette période, le Soudan du Sud a vécu sans pétrole. C’était dur bien sûr, ça l’est toujours. On vit encore dans l’austérité. Mais, au final, le Soudan subit les mêmes effets. Si l’on regarde leur monnaie : sa valeur a chuté de manière dramatique. Leur livre est même plus faible que celle du Soudan du Sud», explique Jamus Joseph, consultant en ressources naturelles pour l’ONG Norwegian people aid, basée à Juba, démontrant en fait que le pétrole est une arme à double tranchant tant que le Sud-Soudan ne trouve pas encore d’autres moyens et d’autres circuits pour le transit de son pétrole.
Juba a déjà entamé les démarches pour faire passer sa production pétrolière via le Kenya, mais ce sera encore long à faire. Cette décision a évidemment provoqué la colère du Soudan. L’annonce de Khartoum n’est ainsi que la suite d’une série d’évènements et le résultat de plusieurs décisions qui vont à contresens d’un rétablissement de la paix et de la construction d’une véritable relation de bon voisinage avec Juba. En mai dernier, déjà, les autorités soudanaises ont annulé 9 accords sur la sécurité et la coopération économique entre les deux pays. Ces accords avaient été signés deux mois auparavant et parmi eux figurait celui relatif au pétrole.
L’explosion jeudi dernier d’un oléoduc à Abyeï, zone pétrolifère en attente d’organiser son référendum d’autodétermination, a compliqué sérieusement les choses et pourrait même provoquer une relance de l’action armée, notamment de la part du Soudan, qui semble attendre le moment idéal pour justifier une éventuelle reprise des hostilités avec un Sud-Soudan en pleine crise interne, aussi bien au sein des hautes sphère du pouvoir à Juba qu’au niveau de sa population, qui survit grâce à l’aide humanitaire internationale.
Mais la population du Soudan paie aussi le tribut d’un nouveau conflit latent avec le Sud-Soudan. La création de nouveaux mouvements rebelles dans les provinces frontalières avec le Sud-Soudan, dont la revendication est le ralliement des ces régions à Juba, a poussé les autorités de Khartoum à pousser le bouchon loin et faire carrément payer les habitants du Nil Bleu, où des combats ont lieu régulièrement depuis un an entre l’armée soudanaise et des groupes armés issus de l’ancienne rébellion indépendantiste sud-soudanaise. Ces groupes contestent par ailleurs le pouvoir en place à Juba, qui est pourtant accusé par Omar El-Béchir de les soutenir en leur fournissant armes et munitions.
«Pour contrer la rébellion du Splm-Nord (Armée populaire de libération du Soudan, branche nord, aujourd’hui au pouvoir au Soudan), l’armée soudanaise bombarde de façon indiscriminée les villages de civils, n’hésitant pas ensuite à les brûler», a accusé l’organisation de défense des droits de l’Homme, Amnesty International. «Le but de telles manœuvres est de pousser la population civile à fuir ces zones», selon cette ONG.
De l’autre côté de la frontière, dans le Sud-Soudan, la population n’a pas été épargnée par un nouveau conflit armé qui ne dit pas son nom.
«Au Soudan du Sud, dans l’Etat de Jonglei, depuis mai 2013, entre 100 000 et 120 000 personnes sont isolées en brousse dans les environs de Pibor. Elles ont fui les combats entre l’armée sud-soudanaise et les milices de David Yau-Yau», a noté un autre rapport d’Amnesty International. Si la situation continue à se dégrader, notamment en cette période où les regards sont branchés vers la Syrie, le risque du déclenchement d’un nouveau conflit n’est pas à écarter.
Il est vrai que le régime d’El-Béchir ne dispose pas de suffisamment de moyens financiers, matériels et humains pour mener une nouvelle guerre contre son voisin du sud. Mais ce n’est pas cela qui retiendrait Khartoum qui, dans une tentative désespérée reprendre les choses en main, pourrait avancer suffisamment de justificatifs pour envahir un Sud-Soudan qui peine à se construire un Etat digne de ce nom. Pour le moment, le régime d’Omar El-Béchir compte sur l’influence chinoise pour négocier ses intérêts dans la région et faire pression sur Juba.