Unis à Tunis (pour le record mondial)!
Et voilà. Nous avons désormais le record mondial des candidatures à l’élection présidentielle. Après celui des divorces, accidents de la circulation, nombre de terroristes en Syrie et couscous géant. Nous y sommes. Enfin. La présidence de la République, tant convoitée, si enviée, est enfin là. À portée de main. Et, surtout, d’un caprice. Ou d’une fantaisie. 70 candidats postulent à la magistrature suprême. Une véritable bousculade au portillon pour cette première élection présidentielle au suffrage universel, direct et secret, après la révolution du 14 janvier 2011.
Soit! La démocratie a ses exigences. Ses lubies, revers et travers aussi. On n’y peut rien. Et sous nos cieux, on pêche par excès d’amateurisme il est vrai. Soyons clairs. La fonction présidentielle a été désacralisée en Tunisie au cours des trois dernières années. Elle n’a plus l’aura d’antan. Elle a même été quelque peu déconsidérée, voire clochardisée. Le passage du statut d’institution sacro-sainte, souverainement abusive, impunément, à celui d’enceinte mi-figue mi-raisin, a été brutal. D’où la prétention commune à endosser la charge présidentielle sans égards aux exigences et contraintes qu’elle impose d’emblée.
D’un autre côté, la fonction présidentielle garde un attrait particulier, même amoindrie et tronquée, eu égard au statut que lui confère la nouvelle Constitution. Aux yeux du commun des mortels, elle garde un prestige inégalé. Et promet richesse, pouvoir et surtout, surtout, passe-droits dans l’impunité. Le bilan des derniers présidents de la République tunisienne en témoigne à loisir. On consent dès lors tous les subterfuges, toutes les entourloupettes et autres astuces fourrées ou légales pour y accéder.
Et voilà. Nous avons désormais le record mondial des candidatures à l’élection présidentielle. Après celui des divorces, accidents de la circulation, nombre de terroristes en Syrie et couscous géant. Nous avons fait presque le double du Mali, avec ses 36 à la présidentielle de l’année dernière. Décidément, chers compatriotes, vous ne cessez d’étonner.
Mais la question, à bien y voir, revêt d’autres significations, et non des moindres. Elle dépasse le simple aspect folklorique ou tragi-comique. Lors du premier tour de l’élection présidentielle française, en 2002, seize candidats étaient en lice. La floraison exceptionnelle des candidatures avait contribué à faire bouder le suffrage, moyennant près de 29 % d’abstention. Et l’éparpillement considérable du vote avait disqualifié, dès le premier tour, le candidat socialiste donné favori à l’époque, Lionel Jospin. En même temps, le candidat d’extrême droite, Jean-Marie Le Pen, s’était qualifié pour le second tour.
C’est devenu depuis, en science politique, un cas d’école. Et c’est d’autant plus navrant en Tunisie que tout semble avoir été minutieusement ourdi pour qu’on y arrive. La Constitution, la loi électorale et les mesures particulières de l’Instance indépendante des élections ont favorisé les candidatures fantaisistes. Le timing de présentation des candidatures aussi. Bien pis, on se retrouve focalisant sur l’élection présidentielle, alors qu’on devrait s’occuper surtout des législatives. D’où, en sus, la multiplication des abcès de fixation. Point de confrontation de programmes. Plutôt une juxtaposition désolante d’intox, de déclarations à l’emporte-pièce, de rumeurs et d’assertions malintentionnées et tendancieuses.
Son image déjà fortement entamée, la classe politique y perd davantage au change. La mêlée est plutôt boueuse, fangeuse, rébarbative, aux antipodes de l’échelle des valeurs et des principes. Et, dans cet échange désordonné et violent, rien n’est laissé au hasard. Tout est calculé, ourdi, manigancé.
Cela ne présage rien de bon. Les favoris initiaux de l’élection présidentielle sont prévenus. L’opinion doit s’attendre à tout. De mal en pis.