Statu quo…tidien?
Commençons d’abord par élaguer les idées reçues. Contrairement à ce que beaucoup croient dans l’hémisphère Nord, l’Afrique n’est pas une grande broussaille où les gens vivent dans un même environnement primitif où chaque matin au réveil, des enfants tout nus et très pauvres disent bonjour au lion ou jouent avec la panthère. Non.On ne dort pas sur des branches d’arbres avec des singes en vivant de chasse, de pêche et de cueillette.
En Afrique, il y a des mégapoles ultramodernes comme Le Caire en Égypte, Johannesburg, Durban, Port Elizabeth, Pretoria en Afrique du Sud, Abuja et Lagos au Nigéria, etc.
La différence d’avec le monde occidental réside en ce qu’en Afrique, une partie de la population urbaine notamment vit dans d’immenses bidonvilles miséreux.
L’Afrique présente des régions où la pauvreté rurale va parfois de pair avec des fléaux – invisibles à l’œil nu il est vrai – comme la malaria, la fièvre Ébola ou l’énigme dévastatrice du vih-sida dont nul ne sait jusqu’à présent la provenance mais qui touchait, d’après l’ONUSIDA, jusqu’à 5% de la population adulte (15-49) en 2006.
Le Continent africain dans sa configuration actuelle compte 54 États anglophones, francophones, lusophones et arabophones dont les frontières furent dessinées et imposées par la Conférence coloniale de Berlin en 1885 à l’initiative du chancelier allemand Bismarck et de la France. Tout s’est déroulé en l’absence des Africains.
La démarcation frontalière a été faite dans une atmosphère marquée par la philosophie de la supériorité raciale des Blancs.
«Il faut une grande invasion en Afrique qui ressemble à ce que faisaient les Francs, à ce que faisaient les Goths» préconisait le Maréchal Bugeaud – propos rapporté par Aimé Césaire dans le Discours sur le Colonialisme .
Voici l’une des ambiances les plus prosaïques de cette invasion «civilisatrice» à Ambike, ville africaine qui, d’après Césaire, n’avait même pas songé à se défendre:
«Les tirailleurs n’avaient ordre de tuer que les hommes, mais on ne les retint pas; enivrés de l’odeur du sang, ils n’épargnèrent pas une femme, pas un enfant… À la fin de l’après-midi, sous l’action de la chaleur, un petit brouillard s’éleva : c’était le sang des cinq mille victimes, l’ombre de la ville qui s’évaporait au soleil couchant».
Ce système officiellement estampillé «civilisation des sauvages» – c’est-à-dire christianisme étant donné que toute autre croyance équivaut à bestialité – se conclut par une «indépendance» offerte dans les années 60. Dans des pays comme le Cameroun, des centaines de milliers de nationalistes furent diabolisés et décimés par la France.
C’est alors que, subodorant le cynisme post-colonial occidental dès les indépendances dans les années 60, des leaders africains initient le projet d’unité africaine censée renforcer les capacités, reconstruire le continent en lambeaux et abolir les frontières dans un espace politique et un marché communs libérés de l’emprise néocoloniale.
Telle fut la signification originelle de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) créée à Addis-Abeba le 25 mai 1963 à l’initiative du plus éclairé de ses fils, le Dr. Kwame Nkrumah, un ancien de la London School of Economics, père de l’indépendance du Ghana – ancienne Gold-Coast britannique rebaptisée.
Mais il faut le dire sans passer par quatre chemins : ce fut dès le départ un échec! Au terme de tractations entre les chefs d’États des pays nouvellement indépendants, le débat prit vite les chemins tortueux de la rapine politique. La plupart s’opposèrent au projet fédératif sous prétexte qu’on y allait un peu trop vite. Beaucoup y trouvèrent le moyen de renouveler leur amour pour le colon à qui l’on allait rendre compte de pourparlers oscillant autour de leur refus obstiné à tout abandon de souveraineté au profit d’une superstructure même confédérale.
D’autant que, de son côté, la France coloniale brandissait son projet d’Union française devant regrouper ses anciennes colonies pour faire face à la «menace anglo-saxonne» ou communiste, seuls dangers guettant les amis africains d’après le colon français. Le projet recueillait d’office les adhésions les plus enthousiastes de Félix Houphouët-Boigny de Côte d’Ivoire ou Félix Tsiranana de Madagascar, sans compter un rôle définitivement trouble du Nigérian Tafawa Balewa dont le secret projet, comme beaucoup, fut de torpiller le leadership de Nkrumah.
Autant donc l’avouer : la création de l’OUA s’est faite sur un refus radical du panafricanisme.
D’après Yves Person , les leaders africains ont refusé à leurs peuples l’autodétermination réclamée aux puissances occidentales. Cela, au mépris du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
Preuve de duperie, l’organisation s’est dûment imposée dans ses textes le «respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de chaque État et son droit inaliénable à une existence indépendante». La garantie pérenne d’une telle tromperie se résume à une bureaucratie spécialisée en inutilités à Addis-Abeba.
On le voit bien, la volonté de nombreux États à poursuivre leurs relations incestueuses avec les colons fut la plus forte – on le voit encore aujourd’hui avec l’assiduité des chefs d’État africains aux sommets Afrique-France versus l’absentéisme séculaire à l’Union Africaine.
Et moment où en 2002, sous l’impulsion du colonel Mouammar el Kadhafi – qui en supportera 15% du budget plus tard -, l’OUA devient Union Africaine (UA) en application de la Déclaration de Syrte du 09 septembre 1999, le scénario reste le même. Le marché commun reste aux calendes grecques. L’UA reste une administration incapable de la moindre influence : ce fut le cas successivement lors de la guerre du Biafra à la fin des années 60; du génocide rwandais en 1994 ou de la fin du régime d’Apartheid sud-africain suivie de la libération de Nelson Mandela en 1993.
L’OUA a été néanmoins boycottée par les grandes puissances – les USA n’y ont nommé un ambassadeur qu’en novembre 2006 en la personne de Cindy Courville en même temps que le Pentagone introduit sa vision paternaliste/militariste de l’Afrique; d’autant plus que le regain d’intérêt pour l’unité africaine est stigmatisé à Paris. Pour s’assurer que l’Afrique ne s’octroie jamais une capacité nucléaire à dessein militaire même collective, les puissances coloniales ont fait signer à 43 pays africains le 11 avril 1996 un traité engageant ce continent (producteur d’uranium) à ne jamais développer d’armes nucléaires.
Jusqu’à ce jour, le sort des Africains se décide ailleurs avec la complicité de chefs d’États qui ne sont, pour la plupart, que de stupides gouverneurs d’anciennes puissances coloniales.
Ces dernières multiplient les interventions militaires meurtrières, les coups d’État sanglants et des génocides au gré de la carte des ressources naturelles du continent et de la manipulation médiatique.
Le continent, lui, n’existe pas. Du moins pas encore. Il n’a jamais pu glaner, avec ses 54 États, un siège permanent au conseil de sécurité des Nations Unies où elle continue d’être représentée officieusement par la France, laquelle n’a surtout pas envie de perdre une telle position.
Cette même France contrôle jusqu’à ce jour une douzaine d’ex-colonies «indépendantes» dans un mécanisme monétaire d’inspiration nazie qu’elle a institués comme cadeau à l’appui massif en hommes des Africains à la libération de la France du nazisme.
Alors qu’était exacerbée artificiellement la crise libyenne en 2011, un autre pan de voile de la mainmise coloniale fut levé par les médias français. Des chefs d’État africains de l’UA se rendant à Tripoli pour proposer un plan africain pour éviter le bain de sang de l’OTAN (160 000 tués de source indépendante française) se sont vus interdire leur voyage par la France. Tout simplement. La France menaça d’arraisonner leur aéronef de tirs d’artillerie au cas où.
Les résolutions 1973 et 1975 qui ont entraîné les bombardements en Libye et en Côte d’Ivoire (pour un litige électoral) furent l’œuvre de l’ambassadeur de France à l’ONU, Gérard Araud.
Profitant de l’adhésion de la RASD (République arabe sahraouie démocratique) à l’organisation panafricaine, le Maroc, anti-panafricaniste et autre grand ami de la France, s’était déjà soustrait en 1984 de l’OUA. Le royaume chérifien se bat désormais, bec et ongle, pour adhérer à l’Union Européenne où, apparemment, aucun membre ne prend au sérieux cette candidature.
Ainsi va la libération africaine un demi siècle plus tard. Elle reste sur les starting-blocks.